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Jeux Viens à Vous François Haffner 1 ère partie

La semaine, je m'entretenais avec Xavier alias Naiade, plutôt de la nouvelle génération. 
Cette semaine, retour aux vieux dinosaures du monde ludique! ;-)
En effet c'est François Haffner avec qui je m'entretiens pour les deux prochaines semaines. 
Auteur de jeux (Maka Bana...), web master de Jeuxsoc, éditeur de Dalapapa, et depuis 3 ans gardien du petit paradis qu'est l'escale à jeux, un gîte ludique situé au coeur de la Bourgogne. 
François Haffner c'est aussi un entremetteur, un homme qui a fait se rencontrer (de manière professionnelle) d'autres hommes et femmes du monde ludique entre eux.  
Un vrai personnage, passionné de jeux à la fois survolté, facétieux et nonchalant, ayant toujours une belle histoire à vous raconter.

Dans cette première partie, nous parlerons de jeux évidemment , de son gîte L'escale à jeux, mais également de Chantal sa moitié, sans qui je crois François Haffner ne serait pas tout à fait le même . 
Je me permets de le tutoyer, car nous nous connaissons un peu. 

 

 

1) Bonjour François Haffner, aurais-tu la gentillesse de te présenter ?

Je m'appelle François Haffner mais sur les réseaux sociaux et les sites web consacrés aux jeux de société, je suis plutôt connu sous mon pseudo : "François Haffner".

Depuis une quarantaine d'années, et plus intensément depuis une vingtaine d'années, je collectionne les jeux de société se toutes sortes. Toutefois, sauf en de très rares exceptions, je ne récolte pas les jeux de cartes à collectionner, les jeux de guerre, les jeux de figurines ou les jeux de rôle. Quand je dis que je collectionne les jeux, il faut entendre par là les règles et non les boîtes. On ne trouvera pas dans ma collection de multiples boîtes de 7 familles, de petits chevaux, de jeux de l'oie ou de nain jaune. Dans ma définition, un jeu, c'est avant tout une règle. Quand la règle est modifiée, le jeu est différent. Quand seul le décor change, pour moi, le jeu reste le même.

J'ai ainsi constitué au fil des ans une collection de plus de 7000 jeux de société différents qui prenaient la poussière dans ma cave. Évidemment, parallèlement, je suis devenu un peu expert dans le domaine, sans pour autant atteindre les connaissances historiques ou universitaires de plusieurs chercheurs ou collectionneurs réputés en la matière, comme Michel Boutin, Pierre Bertin, Thierry Depaulis, Fred Horn, Ferdinand de cassan et tant d'autres.

Les circonstances de la vie nous ont donné l'occasion, avec mon épouse Chantal, de créer une structure originale : un gîte-ludothèque. C'est ainsi que nous avons déménagé de la banlieue de Lyon vers Sologny, un village bourguignon à mi-chemin entre Mâcon et Cluny, où nous avons trouvé une maison pouvant nous accueillir en même temps que les jeux et les amateurs de jeux. Le gîte en est aujourd'hui à sa troisième saison et la fréquentation, tant quantitative que qualitative, nous satisfait pleinement.

 

"La dernière importante invention serait peut-être le jeu de cartes à collectionner, avec Magic"

2) En littérature, on dit parfois que tout a été écrit par les tragédiens grecs, et que l’on réécrit depuis les mêmes histoires.
Dirais tu que tout a été écrit/crée également au niveau du monde ludique et que l’on récrée les mêmes jeux juste de manière différente ou bien penses-tu au contraire que le monde du jeu commence seulement son essor au niveau de sa créativité?

Les mécanismes innovants sont aujourd'hui rares. La nouveauté est plutôt à rechercher dans l'assemblage innovant de mécanismes. Si l'on s'intéresse à la structure des jeux, les dernières grandes révolutions sont lointaines. Il faut remonter au début du XXe siècle pour l'Attaque, un jeu combinatoire à information incomplète mais on découvre aujourd'hui, grâce aux recherches de Michel Boutin, que ce mécanisme existait déjà dans le Gunjin shogi à la fin du XIXe siècle. La dernière importante invention serait peut-être le jeu de cartes à collectionner, avec Magic. Mais son auteur dit avoir été inspiré par le 1000 Bornes, lui-même dérivé de Touring qui date de 1906.

Comme en cuisine, il est difficile d'inventer de nouveaux goûts, mais il est toujours possible d’accommoder de manière originale des mécanismes - Pierre Berloquin parle de « ludèmes » - pour créer des effets ludiques étonnants. Un des secrets de la création ludique est le mélange de mécanismes a priori éloignés comme par exemple le calcul mathématique et l'adresse. Et de ce côté, les possibilités semblent énormes.
 

 

3) Bruno Faidutti me disait la même chose, qu’éventuellement on pouvait considérer Magic comme la dernière innovation importante. 
Pourrais-tu nous expliquer l’influence de ce jeu dans le monde ludique moderne, malgré toutes les polémiques qu’il a pu engendrer ? 

À vrai dire, je n'ai pratiquement pas joué à Magic ni à aucun jeu de cartes à collectionner. La polémique est réelle puisque des enjeux financiers rentrent en ligne de compte. On s'éloigne donc de fait du principe même du jeu qui doit être désintéressé. Ceci dit, quand on joue au Bridge, au Backgammon, au Poker ou aux fléchettes pour gagner quelques sous ou la tournée, on n'est plus tout à fait dans le désintéressement.

Mais là où Magic introduit une notion nouvelle, et qui m'éloigne de ce type de jeu, c'est dans son aspect mercantile. L'éditeur décide que le bout de carton qu'il met en vente sera rare et donc cher. Quand une carte ou un pion vient à manquer dans un de mes jeux, je le refait à l'aide d'une bonne imprimante papier ou 3D. Essayez de vous pointer dans un tournoi de Magic avec une carte puissante que vous avez soigneusement photocopiée. Je doute qu'on vous laisse l'utiliser. Magic, et les autres jeux du même type, introduisent donc une hiérarchie sociale et financière entre les joueurs, que l'on peut refuser.

Cette notion est-elle vraiment nouvelle ? Pas si sûr. Je me souviens de mes parties de billes à l'école. Il y avait des enfants aisés qui achetaient des billes chères, les fameuses agates, considérées comme valant plus que les billes en terre. Et puis il y avait les joueurs habiles qui gagnaient les agates de ceux qui les avaient achetées.

 

"Trouver le jeu adéquat, qui plaira au public concerné, procure une grande satisfaction. C'est pour moi la plus belle des récompenses."

4) Tu es également auteur de jeux, animateur dans ton gîte où tu expliques bien volontiers les jeux, qu’est-ce qui te plait dans le fait de faire jouer les gens inconnus ou proches ?

Comme tout passionné, j'aime partager ma passion. Je ne peux pas prétendre connaître tous les jeux de ma collection, mais avec les années et l'expérience, je parviens souvent à conseiller efficacement mes locataires ou à mes amis (parfois ils sont les deux ou le deviennent). Trouver le jeu adéquat, qui plaira au public concerné, procure une grande satisfaction. C'est pour moi la plus belle des récompenses. Bien plus importante que les sommes colossales que je gagne grâce à mon gîte et que je cache dans un compte numéroté de ma banque d'affaires de Maka Bana.

5) Tu as créé ton gîte suite à un licenciement économique, pour beaucoup de personnes, cet événement est un drame, une source de stress, voire parfois de dépression.
Comment l’as-tu vécu, et dirais-tu qu’il a été une chance pour « refaire » ta vie ou bien au contraire un événement très difficile à vivre ?

Il ne s'agissait pas vraiment d'un licenciement économique mais d'un départ transactionnel.

Disons que ce changement de vie s'est fait au bon moment. Je n'avais plus envie d'aller travailler à Paris chaque semaine, mes filles avaient terminé leurs études, et je pouvais facilement changer de mode de vie. Cette séparation à l'amiable présentait pas mal d'avantages : en plus de toucher une somme intéressante correspondant à un statut, un salaire et une ancienneté importants, je pouvais bénéficier du statut de créateur d'entreprise avec un revenu complété par la caisse de chômage. De plus, ma chère et tendre a la chance d'avoir un métier où l'on retrouve facilement du travail. Nous avons donc saisi cette opportunité pour changer de vie, de maison, de ville et même de région. Nous ne roulions pas sur l'or (il faudrait pour cela que tous les lecteurs de cette interview se décident à acheter plein de boîtes de Maka Bana) mais nous sommes plus à l'aise que beaucoup de familles. Et puis il faut bien dire que nous avons atteint, mon épouse et moi, un âge où l'argent est loin d'être primordial. 

Dans notre cas précis, c'est bien d'une chance qu'il s'agit et nous avons décidé de la saisir.

 

"Le souci, c'est que de plus en plus de joueurs passionnés croient être des auteurs de génie quitte pour cela à devenir des éditeurs de génie."

 

6) De part, ton ancienneté dans le monde du jeu, avec ta vision de joueur, d’auteur, de webmaster avec Jeuxsoc, (d’éditeur également il me semble pour certains de tes jeux non ?), de propriétaire de gîte ludique, tu possèdes une place importante dans le monde ludique français, et si j’ose me permettre, presque de dinosaure du monde ludique.
Comment vois-tu les nouveaux arrivants dans le monde du jeu, les changements qui s’opèrent ?
Regrettes-tu le temps où ce milieu était plus petit ou bien te sens tu complétement à l’aise avec cette évolution ?

Les changements ont toujours eu lieu. À la fin des années 70, on s'est mis à (re)découvrir les jeux de société avec l'émergence de nombreux magasins dont les relais Descartes. Et la plupart des gens continuait à croire qu'il n'existait que le Monopoly, le Cluedo et La Bonne Paye. Aujourd'hui, de nombreux magasins naissent et disparaissent, le nombre de jeux ne cesse d'augmenter et il y a toujours autant de gens pour croire que les seuls jeux qui existent sont ceux que l'on trouve dans les rayons de Noël des grandes surfaces. Le « milieu » s'est certes étoffé mais c'est avant tout dû à l'apparition de nombreux tout petits éditeurs. Parmi eux, il y en a qui croient avoir découvert la pierre philosophale. Le phénomène n'est pas nouveau et on ne peut pas empêcher le rêve.

Le plus effrayant est le nombre de boutiques de vente par Internet. Leur nombre n'augmente cependant guère car il en meurt autant qu'il en naît. Beaucoup croient aussi devenir éditeurs sans aucun capital, par la magie du financement participatif. Peut-être dû à mon âge, je suis très prudent face à ces évolutions. Je continue à privilégier les commerces de proximité et de conseil.

Je ne crois pas que le milieu connaisse réellement une expansion. Le souci, c'est que de plus en plus de joueurs passionnés croient être des auteurs de génie quitte pour cela à devenir des éditeurs de génie. Mais tous les peintres du dimanche, souvent talentueux, ne vivent pas de leurs peintures. La clientèle avide de bons jeux de société n'est pas infinie et son budget jeux non plus. La plupart des jeux nouveaux ont du mal à dépasser 1000 exemplaires vendus dans l'année. On voit qu'un modèle économique avec autant de jeux et d'éditeurs n'est pas viable. On parle beaucoup des jeux ou des éditeurs qui ont cassé la baraque. On ferait bien de parler aussi de ceux qui ont perdu toutes leurs économies, voire plus.

7) As-tu vu des situations dramatiques autour de toi à ce propos sur des gens qui espéraient beaucoup ?
Est-ce dû au fait que c’est un milieu essentiellement de passionnés et peut être pas assez parfois de « commerciaux » au bon sens du terme?
Après tout, demande-t-on à un chef d'entreprise du BTP d'être passionné par les parpaings?

Je n'ai pas connu personnellement de situation dramatique. Mais j'ai croisé beaucoup de gens enthousiastes puis, un ou deux ans plus tard, désabusés. J'ai également, comme tout un chacun, retrouvé en solderie des jeux que leur auteur-éditeur n'a pas su vendre.

Heureusement, le coût de fabrication d'un ou deux milliers de boîtes de jeu ne dépasse pas le prix d'une voiture. La situation financière d'un auteur qui ne parvient pas à vendre son jeu est donc celle d'un quidam qui se paye une voiture au-dessus de ses moyens. Les plus à plaindre sont peut-être ses amis et cousins qui vont avoir le même cadeau de Noël pendant vingt ans !

 

8) Pourrais-tu nous raconter ton moment le plus merveilleux de ta vie de joueur?

Il fut un temps où je vendais des jeux de société dans une petite boutique à Valence. Un joueur une charmante jeune fille poussa la porte de la boutique et regarda tous les jeux tandis que moi, je la regardais elle. Elle est revenue plusieurs fois, n'a jamais rien acheté dans ma boutique mais en revanche elle m'a fait trois jolies filles aujourd'hui trentenaires. Elle est toujours ma partenaire, dans la vie et pour d'innombrables parties d'Innovation, de Bridge, de Dalapapa, de Big City ou de Mathable. De plus, elle me prête volontiers sa belle table de jardin verte.

 

9) Et ton moment le plus triste dans le monde du jeu ?

Je n'ai pas souvenir de moments tristes dans mes activités ludiques. Le domaine est futile. Il serait malvenu d'y accorder trop d'importance.

 

"Il ne faut pas croire que tenir un meublé de tourisme consiste à attendre les clients en jouant à des jeux de société..."

10) Tu viens d'utiliser le mot futile, toi professionnel du jeu, alors que tant de joueurs prennent le jeu parfois tant au sérieux, trop oserais-je même dire. Que souhaiterais-tu dire à ce propos ?

D'ailleurs te considères-tu vraiment comme un professionnel du jeu ou un passionné qui s'est mis à en vivre ?

Par définition, le jeu est futilité. Mais évidemment, si l'on décide d'en faire sa profession, il faut le faire sérieusement, que l'on soit éditeur, commerçant, joueur professionnel, etc.

Pour ma part, j'ai opté pour un mode de vie qui me permet de tirer un modeste revenu de ma passion et de ma collection. Mais tenir un hébergement ludique, c'est avant tout tenir un hébergement. L'essentiel de mon activité consiste à entretenir les locaux et le matériel, à nettoyer des sanitaires, à faire des lessives, des lits, à laver des sols et des fenêtres. Heureusement, il consiste aussi à conseiller et expliquer des jeux. Il ne faut pas croire que tenir un meublé de tourisme consiste à attendre les clients en jouant à des jeux de société... sauf si l'on pratique des tarifs qui permettent de se payer du personnel ce qui n'est pas notre cas.

François Haffner explique un jeu à l'Escale à jeux

 

 

"Sauf si un généreux mécène Qatari ..."

 

11) Si tu avais une baguette magique, que voudrais-tu améliorer, changer dans ton gîte pour le futur afin de le rendre encore plus parfait ?

Plus que parfait ? Est-ce possible ? Notre gîte n'est hélas pas accessible aux personnes à mobilité réduite : trop de niveaux différents comme dans toutes les maisons traditionnelles du Mâconnais. Nous avons répondu à un appel à projet pour rendre une partie du gîte accessible afin de pouvoir accueillir des groupes comportant une ou deux personnes à mobilité réduite. Le projet consiste en un aménagement/nivellement du jardin, la création d'une ouverture supplémentaire, la création d'un studio entièrement accessible au rez-de-chaussée, l'aménagement d'une salle-de-bains-WC-douche accessible, plus quelques adaptations pour les autres formes de handicap. Au total, pas loin de 75000 € de travaux.

Bonne nouvelle : notre projet a été retenu par le conseil départemental de Saône-et-Loire qui nous a accordé une subvention !

Mauvaise nouvelle : cette subvention, plafonnée à 25000 €, est hélas limitée à 30% du coût total de l'investissement nécessaire, avec l'obligation de rendre le gîte accessible à toutes les formes de handicap.

 

Même en limitant au maximum les dépenses, et en faisant nous-même de nombreux travaux, il est impossible de descendre à moins de 45000 €, ce qui laisserait plus de 30000 € à notre charge. Nous aurions aimé mettre notre gîte en accessibilité, pour recevoir des joueurs qui ne peuvent pas venir actuellement. Mais notre situation financière ne nous permet pas de dépenser une telle somme. Par ailleurs, le retour sur investissement est pratiquement nul puisque le calendrier affiche déjà presque complet. Ce projet ne verra donc pas le jour. Sauf si un généreux mécène Qatari ou un patron du CAC 40 veut y dépenser son argent de poche d'une journée.

12)En parlant de Cac 40,dans la conférence gesticulée, Pourquoi je ne serai jamais Luis Fernandez, l'auteur explique que le sport (pas en tant qu'activités physiques mais en tant qu'objet de compétition) s'est développé en parallèle au capitalisme, afin d'imposer un mode de pensée comportant dix perdants pour un gagnant. 
Que penses-tu de cela ? 

Aurais tu tendance à privilégier le jeu pour le jeu, sans compter les points ou bien cela te cela te semble tout de même indispensable? 

Alors là... le jeu objet de promotion du capitalisme, j'avoue que je ne me suis jamais posé cette question.

Personnellement, je joue dans l'optique de gagner. Ou, à tout le moins, de progresser, de faire mieux que lors des parties précédentes. Les gens qui « jouent pour jouer » peuvent pourrir une partie. Pour certains jeux, cela peut vite devenir insupportable. Surtout s'ils se mettent à favoriser un joueur autre que moi, bien entendu.

 

13) Souhaiterais-tu nous parler d’une œuvre (jeu, littérature, cinéma…) ou d’un auteur (de jeux, livres ou autres) qui à tes yeux mériterait d’être plus connu ou reconnu et que tu souhaiterais faire connaître?

Il y a tant d'auteurs ou d'œuvres injustement méconnus que je ne me vois pas en choisir un ou une en particulier.

 

14) Selon toi quelles compétences, le jeu de société développe-t-il? 

Il existe des dizaines de milliers de jeux de société, et plusieurs milliers de mécanismes ludiques. On peut parier que cela risque de développer plusieurs compétences. La principale est l'acceptation d'une règle commune. C'est pourquoi je préfère considérablement l'appellation « jeu de société » à l'affreux anglicisme « jeu de plateau ». Le jeu de société apprend à vivre en société. Personnellement, j'habite dans une vallée et je ne ressent nul besoin d'apprendre à vivre sur un plateau.

 

15) Comme tu le disais dans une de tes réponses, tu es très lié à ton épouse, que t’apportes Chantal par rapport au monde ludique, aux difficultés que tu as peut être rencontré dans ce monde professionnel ou en général dans la vie ?
Et que t’apportes le jeu que ne t’apportes pas Chantal ? 

La réponse a cette question et aux suivantes la semaine prochaine! 

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