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Jeux Viens à Vous
Simon Murat 2ème partie
Dans la suite de cet entretien, nous évoquons avec Simon sa reprise du Passe Temps et son lien avec Bruno Desch désormais son ancien patron, de ses projets pour le magasin, de la chaîne youtube le Passe Temps et de ses répercussions au niveau commercial et également au sein de la profession, de la concurrence entre Asmodée et Hachette, de Lars Von Trier et South Park, mais aussi d'écologie et de green washing dans le monde ludique sans oublier Reiner Knizia et Régis Bonnessée...
11) Tu m'avais laissé un indice dans l'une de tes réponses précédentes, en me disant "je suis patron". Nous venons d'apprendre il y a quelques jours que ton patron, Bruno Desch, te passait la main.
Qu'est-ce que cela représente pour toi d'être à présent le patron d'une entreprise avec des employés qui étaient encore il y a quelques jours tes collègues?
Est-ce que cela était une évidence pour toi de reprendre Le Passe Temps, avais-tu d'ailleurs suggéré l'idée à ton patron ou t'es-tu posé longuement la question de devenir le responsable du magasin, avec tout le poids que cela peut représenter ?
La question s'est posée il y a de cela des années. Il y a de cela 7 ans je dirais, de mémoire.
Cela me semble très lointain. Le magasin n'en était pas à son stade de développement actuel. Les challenges à affronter étaient encore immenses. Et les relever me plaisait bien.
Bruno comme moi avons l'idée de chaque jour vouloir faire bien, et dans un monde en perpétuel mouvement, cela veut dire vouloir faire mieux. Ce n'est pas une idée de vouloir faire du chiffre, c'est l'idée de vouloir faire bien. Il se trouve qu'en faisant bien, cela participe à l'essor de la boutique. Soit.
En tant que vendeur, je fais de ces challenges un grand jeu coopératif au quotidien. Bon nombre de chantiers ont été relevés depuis. Il m'en reste encore bien d'autres à mettre en œuvre. Et c'est chaque jour plus galvanisant que la veille. L'idée que je succède à Bruno est venue assez naturellement dans la conversation. Dans une société familiale, le repreneur le plus facile à identifier est celui qui connaît le mieux la société.
"C'est plus le syndrome de l'imposteur qui domine pour l'instant"
J'aurais pu décider d'explorer d'autres chemins, d'aller voir d'autres horizons, de changer d'air. Je me suis bien sûr posé la question.
Et après, si je ne reprends pas Le Passe Temps, qui le fera ? Qui voudra reprendre quoi, comment ? Qu'adviendra-t-il de tout le travail que nous avons mis en place depuis des années ? De la chaîne Youtube, de mes collègues, de nos clients ?
Car dans cette aventure, j'ai le bonheur de travailler avec Baptiste depuis maintenant 10 ans, avec Rachel, Amandine, Thomas et Nico depuis moins longtemps, mais c'est un ravissement au quotidien de pouvoir être entouré de gens aussi talentueux, motivés et sympathiques. Des gens dont j'ai participé au recrutement, que j'ai plaisir à retrouver chaque jour (j'espère que c'est réciproque :/ ), et dont je me sens un peu responsable. Je ne me voyais vraiment pas les lâcher et que leur avenir professionnel dépende de quelqu'un d'extérieur à l'équipe.
Cela ne fait vraiment que quelques jours que l'idée d'être patron m'a percuté le cerveau. C'est en signant le PV d'AG, avec ma signature et mon nom sous la mention "Le gérant", que l'idée m'a un peu bouleversé, que la charge est arrivée. C'est un homme de l'ombre, mais Bruno est un bourreau de travail, exigeant, rigoureux mais brillant. Le déposséder de son rôle n'était tellement pas mon ambition, que c'est plus le syndrome de l'imposteur qui domine pour l'instant, plus que le syndrome du petit chef. Être patron, je crois que je ne me fais encore ni à l'idée, ni au terme. Mais être le nouveau Bruno, ça c'est vertigineux.
J'ai pour l'instant l'impression d'avoir simplement changé de poste au sein de l'équipe. La notion d'équipe me va très bien. Pour que ça tourne, il en faut bien un qui rentre les factures en compta, paye les fournisseurs et organise le travail. Le Passe Temps a toujours eu un fonctionnement assez horizontal, avec une grande place à la prise d'initiatives et de décisions individuelles. De joueur, je passe un peu plus à entraîneur. Il en faut bien un. Je n'aime pas l'idée du "patron". C'est pour l'instant plus un sujet de plaisanterie entre nous qu'autre chose. Pourvu que ça dure. Je ne suis pas très inquiet sur ce sujet.
C'est à moi qu'il incombe de faire en sorte que la gestion soit pérenne, que les clients soient satisfaits, qu'on soit à la hauteur de notre ambition et de prendre soin de chacun.
Du coup, quand tu me parlais en off de l'arrêt des primes de noël, je coupe, c'est bien ça ?
Je plaisante, je plaisante !
12) Plus sérieusement, venons-en à ce qui a fait ta gloire et ta fortune : votre chaîne Youtube.
12 A) Plus sérieusement encore, peux-tu nous raconter comment est née la chaîne et ce que le succès (somme toute relatif, nous sommes dans le monde du jeu de société) a engendré pour vous ? Vous êtes-vous sentis de produire du contenu afin de garder vos abonnés ? Vous êtes-vous posé des questions légitimes sur le devenir de cette chaîne ?
La chaîne est née un jour pluvieux de décembre 2017. Travaux dans la rue, temps maussade, rayons vides, un moment de noël bien déprimant.
Bruno me propose une idée à laquelle j’adhère : que l’on tourne une petite vidéo de présentation dans laquelle je vagabonde dans les rayons du magasin, présentant avec entrain les jeux phares du moment.
La première vidéo venait de naître.
Bruno était plus pour la mettre en ligne sur Facebook. Je trouvais le lecteur tout nul et les statistiques faiblardes. Nous avons donc choisi Youtube. Le but était de parler à nos clients, et ça leur a parlé.
Très vite, j’avance l’idée de faire des vidéos plus montées, un top 10 de nos jeux préférés. C’est filmé à l’arrache, un montage sur un logiciel douteux, mais c’est des centaines de milliers de vues qui arrivent petit à petit. Le mois d’avril, qui vient de voir la sortie de Terraforming Mars, Flamme Rouge et Dice Forge, les vidéos des meilleurs jeux du moment sont nées...
Le plan était initialement de parler à nos clients fidèles, mais les joueurs de toute la francophonie se sont accaparé ces vidéos. Le but n’a jamais été de faire des vues, du nombre, mais comme pour le commerce, quand tu fais les choses bien, la récompense arrive parfois pour couronner cela.
Très vite nous avons compris que nous arrivions à parler à un public que les médias traditionnels du monde du jeu ne touchaient pas.
Une vidéo comme Y’en a marre du Risk, des Top des jeux pour 2 joueurs, ça fait rentrer des centaines de gens dans cette passion.
Nous serions dès lors une porte d’entrée. Comme au magasin. Notre rôle de vendeur et de youtuber est le même : vulgariser, accueillir, renseigner, divertir.
Bruno Desch alias "J'ai bien fait de laisser traîner ce contrôle fiscal...eh eh eh"
12 B) Concrètement vous apporte t-elle un réel intérêt financier, comme de nouveaux clients par exemple?
Eh oui, cela fait venir de nouveaux clients. Déjà, ceux qui avant de nous découvrir ne jouaient pas. Ils sont nombreux et c’est notre fierté à tous dans l’équipe. Quand tu es passionné par un sujet et que tu transmets cela à d’autres, quel bonheur. Ensuite les curieux, ceux qui veulent t’encourager, te féliciter, te soutenir.
On n‘a rien sans rien. Je me suis déjà accroché avec des confrères à ce sujet, qui me soupçonnaient de minimiser le phénomène : « ah ouais mon salaud, tu te foutais bien de ma gueule quand tu me disais que ça ne te faisait pas vendre plus », m’a-t-on un jour asséné. Je pense bosser avec une transparence que peu de gens ont, n’avoir rien à cacher par mesquinerie. On bosse comme des chiens pour en arriver là. Le montage c’est ingrat, les tournages fastidieux, les idées chronophages, sûr, ça nous connaît. Et si demain je vends plus de jeux, tous nos confrères profitent également du travail que l’on met gracieusement à disposition de tout un chacun et qui draine des passages en caisse des magasins de Toulouse certes, mais également de Bordeaux, Paris ou Strasbourg. Le procès en ingratitude ne passera pas par nous.
12 C) Y a-t-il eu des répercussions au niveau professionnel par rapport à des demandes des éditeurs afin de placer des jeux ? Et comment y répondez-vous ?
A mon humble niveau, il est assez courant que des auteurs ou éditeurs souhaitent un article sur leur jeu, j'imagine que cela doit être décuplé pour vous ?
Les éditeurs ont vite compris que nos vidéos étaient prescriptrices. Manque de bol, elles ne sont pas achetables et motivées uniquement par notre bon vouloir.
Nous recevons bon nombre de boîtes de presse, c’est indispensable à notre travail de veille. Pour les éditeurs c’est sans doute la loterie.
Cela étant, les éditeurs qui tentent de nous soudoyer sont rares et sont souvent ceux qui n’ont rien compris à la communication. C’est plus de la médiocrité que de la malveillance.
Par contre, oui certains prennent ombrage du fait que l’on n’ait pas mis en avant tel ou tel jeu.
Cela fait également partie de l’idée qui me fait dire que je ne crie pas au jackpot avec cette histoire de nouveaux clients. Car déjà, nous sommes 6 à travailler au magasin et eux 130, et ensuite, car cette chaîne est aussi une occasion magistrale de se mettre des gens à dos.
Pfiou, quel pavé :)
Souhaites-tu une autre occasion de te mettre des gens à dos ? ;-)
13) Longtemps des magasins m'ont indiqué avoir eu des mauvais rapports commerciaux avec Asmodee, contrairement à Blackrock par exemple : il fallait selon eux acheter un maximum de jeux pour en obtenir certains et avoir les meilleurs prix. Les petits magasins se sentaient pris à la gorge, obligés d'acheter des nouveautés afin de pouvoir vendre Dobble, qui était le produit phare à avoir absolument dans sa boutique.
13 A) As-tu vécu cette période et comment l'avez-vous vécue au Passe Temps?
Asmodee a longtemps imposé à certaines boutiques, celles qui disposaient des meilleures conditions commerciales, de référencer 90% de leurs sorties annuelles.
Cela ne nous a posé problème qu’en de très rares cas, vu que nous référençons énormément de choses.
Cette clause qui posait de nombreux problèmes a été retirée depuis.
Chaque distributeur a des façons différentes d’envisager le problème. Mais je pense qu’au-delà de faire le forcing, ils gagneraient à mieux comprendre nos problématiques, nos demandes, qui de fait sont liées aux demandes des joueurs, nos clients. On avance, positivement.
13 B) Les rachats multiples par Asmodee et Hachette vont-ils selon toi aller encore dans ce sens, ou bien un effet de concurrence va-t-il se créer entre eux ?
La concurrence Hachette vs Asmodee existe déjà, il n’y a qu’à voir les rachats récents du Scorpion Masqué et de Plan B. La concurrence pousse aussi chacun à faire de son mieux pour être plus attractif que son concurrent. La concurrence positive. J’espère que pour le consommateur, le résultat de tout cela sera bénéfique. Mais c’est plus un vœu qu’une certitude.
13 C) Y a-t-il d'ailleurs encore selon toi de la place pour de petits éditeurs dans les années futures et comment gérez-vous cela au Passe Temps ?
Ce qui est sûr, c’est que le ticket d’entrée pour un éditeur est bien plus élevé qu’au début des années 2000. L’exigence en termes de qualité de matériel, d’illustration, de communication a tellement grimpé qu’il devient dur de sortir le moindre jeu sans y investir plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Je reste pour autant persuadé qu’une fine analyse du marché, une idée brillante ou un jeu qui parle au très grand public permet de s’en sortir. Par contre, il y a 10 ans, un seul de ces critères suffisait à faire le succès d’un jeu. Ce n’est aujourd’hui pas suffisant, il faut les 3 (cf MicroMacro).
Qui veut mon doigt?!
(Blague lourde et non drôle de l'intervieweur mais approuvé par Cartman de South Park)
14) Tu me disais en début d'entretien aimer South Park et Lars von Trier.
Une oeuvre et un auteur que j'apprécie également notamment pour des oeuvres comme Breaking the Waves mais qui a depuis été catégorisé par certains presque comme un nazi.
Que voudrais-tu nous dire de Lars von Trier ou de South Park pour ceux qui ne connaîtraient pas ou n'aimeraient pas ?
Voir et comprendre les films de Lars von Trier a été fondateur chez moi de la compréhension de l’altérité. Par des films aux décorum crus, des personnages d’une innocence immense frôlant la bêtise évoluant dans nos société conservatrices et cupides, il arrive à nous faire chialer de détresse, à nous faire enrager face à l’intolérance, au racisme, à la mesquinerie. Ça bouleverse, ça interroge, ça éveille. Du Très grand cinéma, aussi fort que la littérature.
Sa trilogie de l’innocence avec Breaking The Waves, Dancer in The Dark et Dogville sont des films majeurs.
Après, oui, le type est un connard, un déséquilibré. Toujours le même débat, l’homme et l’œuvre. Je n’ai jamais compris comment il avait pu faire tout un film qui défend la femme ouvrière immigrée méprisée et brûlée par la société, tout en passant son tournage à harceler Björk, qui finira par quitter le tournage en arrachant son costume avec les dents. Un vrai connard. Un vrai décalage entre le propos et l’homme.
South Park est juste la meilleure série animée au monde, imbattable, inégalable. Ils tiennent le plus grand personnage de toute la pop culture : Cartman, un Hitler de 9 ans des années 2000.
La saison 1 était „pipi caca bite et mort“, mais depuis la série est devenue un pamphlet contre tous les maux de ces temps, brillant, percutant et hilarant. Je crois avoir vu chaque épisode a minima 5 fois.
La saison 1 de South Park parle tout de même déjà d'homophobie avec Al Super Gay ou de la critique des oeuvres caricatives avec Pascal La Dalle l'Ethernopien.
Si tu me le permets, je vais dépasser la quinzaine de questions car j'ai envie d'évoquer avec toi encore quelques sujets.
15) Tu me parlais du manque de volonté politique notamment en terme d'écologie.
L'association Adrastia (http://adrastia.org) explique que nous avons avons dépassé le seuil de non-retour en termes de dégâts écologiques, Ludovox publiait il y a quelques mois un article sur la pollution engendrée par les jeux de société (réalisation, transport...), ainsi que les croisières ludiques proposées depuis peu.
15 A) Mais ne balançons-nous pas nos déchets n'importe où, que ce soit par le nucléaire ou simplement avec nos déchets quotidiens que nous enfouissons ou brûlons ?
Ne crois-tu pas que ce serait avant à nous, citoyens, de faire les efforts nécessaires ?
Je ne crois pas à l’autodiscipline.
Je crois en la société, en l’effort collectif, en la loi, morale consentie par et pour le citoyen.
Pour être plus clair, je n’attends pas de mon prochain qu’il fasse des efforts, j’attends que la loi lui impose de faire des efforts.
Cela oblige que l’Etat fasse des efforts, mette en place des systèmes de tri, de collecte et de lutte contre le gaspillage et le suremballage qui répondent aux problèmes de ce monde.
Rapportées au monde du jeu, certaines pratiques me sidèrent.
Pourquoi avoir des boîtes de Dixit, 7 Wonders ou encore Carcassonne pleines de vide, alors que ces boîtes sont vouées à être jetées. De plus, la moitié d’entre elles seront vendues sur le net. Je mettrais tout ça dans des boîtes à chaussures, ou juste dans du papier kraft pour ma part...
Je pense qu’il faudra un jour démystifier l’aspect objet du jeu si l’on veut promouvoir une démarche écologique. En finir avec les sabliers, les emballages de plateau, les figurines à outrance, les thermoformages, les goodies sous blister, les poches en papier, les tickets de caisse et les paquets cadeaux, les KS de jeux américains fabriqués en Chine, livrés à Hanovre et acheminés en Auvergne, pour un dispatching vers la Corse ...
Mais le joueur est, comme tout Français, conscient du problème des autres mais pas du sien.
15 B) Je ne sais pas si tu as actuellement des enfants mais comment vois-tu la Terre que nous allons laisser à la prochaine génération dans les 20 ou 30 prochaines années ?
En reprenant le Passe Temps, je me suis fixé un horizon de 10 ans. 10ans pour arriver à bouger quelques lignes, à porter les projets et les gens qui me tiennent à cœur. 10 ans pour solidifier le magasin et lui permettre de tenir face aux crises.
Au-delà, je ne peux présager de l’état du monde. Mais faute de prise de conscience, faute de relocalisation de la production, faute d’adaptation du secteur, nous irons dans le mur.
Il faudra que la loi passe par là, fixe ce qui est acceptable et ne l’est pas. D’aucuns appelleront cela de l’écologie punitive. Certains brandiront leurs libertés tels d’égotistes américains. J’irai vivre ma retraite en Islande avec quelques amis, je jouerai à Skyjo chaque après-midi en buvant de la Suze et en écoutant du William Sheller. Et ça, ce sera bien.
Peut-être qu’entre temps je ferai de la politique, mais je crois que j’en fais déjà sans le savoir. En tout cas je pense aimer les gens, les considérer, sans mépris ni aveuglement, être très heureux dans mon quotidien et souhaiter la même joie de vivre et de jouer à tous ceux qui m’entourent ou fréquentent notre échoppe.
Pourvu que ça dure.
16 A) Tu ne crois pas que ce sont les actions citoyennes qui vont bouger les lois ?
Les femmes, les homosexuels, les Noirs, les Juifs n'ont réussi à changer les lois et à s'imposer que par la pression, qu'elle soit dans la rue ou par des lobbys.
Ne penses-tu pas que la corruption politique ne diminue que par des actions comme Anticor ?
Si nous ne faisons pas pression économiquement sur les entreprises, du jeu ou d'ailleurs, ne penses-tu pas qu'elles ne feront rien pour changer ?
Je suspecte le greenwashing de certains éditeurs, mais n'est-il pas nécessaire quelque part, afin d'engendrer un processus de tous les autres ?
Si, je pense que cela viendra des actions citoyennes. Mais qu'il faut que le citoyen s'empare de la loi pour faire avancer les choses.
Ce n'est pas au citoyen, à la morale, de dicter les comportements de son voisinage. Ca, c'est l'anarchie, la vindicte, ça apporte rarement du bon.
Manifester est une action citoyenne, militer, faire pression sur les politiques en place. Mais à quoi ça sert de gueuler ad hominem sur une andouille de la communauté des ludistes qui n'accepte pas que Villainous ne soit pas sous blister ou qui exige un échange car on voit un pli sur un coin de plateau personnel, qui se fout bien aujourd'hui que son Codenames ou son 6 qui prend soit fabriqué en Pologne, en Birmanie ou en Chine ? La pression n'existe pas car l'alternative n'existe pas pour le consommateur. J'attends le Codenames made in Nancy à 30 €. On verra quel choix sera fait (tu la sens l'ironie ?).
Greenwashing ? Oui, et ? Ce sont des jalons posés, des idées avancées, un message passé. Quelle est la motivation ? Le résultat, ou l'image renvoyée ? Je pense, pour connaître quelques acteurs du milieu engagés sur la cause, que la motivation sincère prime, et de bien loin. On est à une époque ou toute avancée est bonne à prendre.
"Qu'est ce qu'il est drôle cet intervieweur!"
"Je constate quotidiennement le gouffre qu'il peut y avoir entre les attentes de nos clients et l'état du marché."
16 B) Veux-tu nous parler plus précisément des lignes que tu t'es décidé de fixer dans les prochaines années ?
Pour ce qui est des lignes... je trouve le secteur encore trop snob, sûr de ses valeurs, de sa primauté sur d'autres secteurs.
Le jeu est devenu un loisir bourgeois où valsent les boîtes à 150 balles jouées trois fois, où un jeu est un bien économique, bon à revendre à peine acheté.
J'ai adoré défendre Skyjo, un jeu dégueulasse vendu sur Amazon et déjà numéro un des ventes sur cette plateforme hyper grand public depuis plusieurs semaines. Les joueurs l'ont découvert avec nous et m'en donnent le crédit. Or c'est un aveuglement total. Il était déjà joué par le grand public. Preuve de l'écart qu'il peut y avoir entre notre monde et celui-ci.
A trop regarder l'illustrateur star, l'auteur en vogue, l'éditeur sexy, la surproduction, la comm, on perd de vue que notre secteur a quelque chose de très cliché, symptomatique de milieu culturel jeune et fier de son existence, mais où règne parfois l'autosatisfaction et l'entre-soi. La communication en vase clos, qui peine à parler au plus grand nombre. Les joueurs parlent aux joueurs. Où sont les classes populaires ? Le jeu est-il encore un loisir populaire ? Qui sort des jeux pour les personnes âgées ? Quel éditeur tente de parler à des ados ? Trop peu de gens à mon sens.
Je constate quotidiennement le gouffre qu'il peut y avoir entre les attentes de nos clients et l'état du marché.
Ainsi que le décalage entre la production de contenu actuelle en termes de vidéos et les attentes du public.
Que le Passe Temps soit une porte d'entrée aide tout un chacun à découvrir dans ce monde récréactif, improductif et camaradesque.
Mais cela ne se fera pas sans que le monde du jeu regarde de l'autre côté de cette même porte pour comprendre ceux qui veulent y entrer.
Une boutique accueillante qui rend service, un festival de jeu le plus accessible possible, une chaine Youtube fun et vulgarisatrice, un acteur économique qui encourage les actions collectives.
J'avoue être en adéquation avec ce que tu viens de dire.
Je pense qu'effectivement les classes populaires sont peu présentes sur les festivals par exemple, et j'aurais tendance à dire d'autant plus qu'elles sont d'origine étrangère.
Les joueurs, que ce soit sur les festivals ou dans les cafés ludiques, sont bien souvent Blancs et avec un pouvoir d'achat supérieur à la moyenne.
17) Souhaiterais-tu nous parler de deux personnes du monde ludique, l'une pour ses qualités professionnelles, et l'autre pour ses qualités humaines, l'un n'enlevant rien à l'autre et vice versa ?
Professionnellement, je suis évidemment admiratif de l'immense travail de Reiner Knizia. On est à la limite du pléonasme tant l'auteur ne peut engendrer que le respect face au brio de ses créations. Bon nombre de mes jeux préférés sont des jeux de Knizia. J'admire surtout chez lui sa volonté d'épurer au maximum ses jeux et d'y apporter un équilibrage redoutable mais toujours très simple, sans artifices ni béquilles Brillant.
Et humainement, quiconque a croisé la route de Régis Bonnessée sait à quel point ce garçon est formidable. Je n'en dirai pas plus de peur de heurter sa pudeur et sa timidité. Mais la réponse est pour moi évidente.
Et autant je ne sais pas si Reiner Knizia est un chic type, mais Régis, c'est Seasons, Himalaya et Dixit ... bon ... le mec cumule les qualités :)
Je me permets de rajouter que Knizia a l'immense qualité de créer des jeux pour tous les âges, de Mmm! pour les enfants par exemple à Tigre et Euphrate pour les plus experts.
Trésor des dragons et Die Schatztaücher : 2 excellents Knizia familiaux !
Pour Régis, cela fait 5 ans que l'on me chante ses qualités, allez, trouve lui un défaut s'il te plaît ! :-)
18) Plus sérieusement, avant mes 2 dernières questions, y aurait-il un sujet que je n'aurais pas évoqué et dont tu souhaiterais parler ?
Rien à ajouter. J'ai déjà fait des réponses suffisamment longues.
C'est la Desch!
19) Le jour où tu devras quitter le monde du jeu, d’une manière ou d’une autre, que souhaiterais-tu que l’on retienne de toi, professionnellement mais surtout humainement ?
Le jour où j’arrêterai, c’est que je serai épuisé.
Par moment, toute cette pression est étouffante, tout ce boulot à abattre, c’est harassant.
Que l’on retienne. Rien. J’espère que ce que j’ai pu apporter et que j’apporterai sera diffusé et acquis au point où on aura oublié le « qui a fait » au profit du « pourquoi les choses sont ainsi ».
Humainement... humainement ... je ne sais pas. Tout un chacun peut bien penser ce qu’il veut de moi. Tant qu’on ne me l’exprime pas avec trop de véhémence.
"Les retours humains ont apaisé mes tourments"
20) Simon, c'est malheureusement la fin de cet entretien. En prenant en compte ta vie professionnelle et personnelle, es-tu heureux ?
Une question qu’on me pose rarement, presque jamais.
Il y a un an ou deux je t’aurais répondu non, sans équivoque. J’ai en sainte horreur les conflits humains et certaines frasques, certaines invectives avaient laissé en moi une colère qui me rongeait. Attaques qui tombaient à des moments de fragilité personnelle et de fatigue professionnelle. Cannes 2020, j’y reste 36h, pour voir Martin et Aline Vidberg, Sylvain Zito et l’incroyable Sonia. Pour le reste, j’ai détesté ce moment. Le regard des gens sur moi avait changé. D’aucuns me voyaient en faiseur de rois, en bonimenteur, en concurrent, en imposteur, en attraction et j’en passe.
J’ai passé mon confinement à bosser d’arrache-pied avec mes collègues pour envoyer des vidéos bricolées maison mais chiadées, élaborer des lives de qualité, divertir la France ludique et faire le tri dans mes rancunes.
Les retours humains ont apaisé mes tourments. Mais ils sont autant de motivation qu’une aliénation, un engagement à produire toujours mieux, toujours plus.
S’exposer, ce n’est pas naturel. Être reconnu ce n’est pas agréable. J’ai fourni ma part de contrat : des vidéos qui parlent de jeux. Pour le reste, ce ne sont que des conséquences : la notoriété, les clashs, les attentes, les procès d’intention.
Pour le meilleur comme pour le pire.
Aujourd’hui j’ai fini par accepter tout cela.
J’ai mon entourage comme pilier, une famille que j’aime, des amis à l’écoute, des collègues en or massif et aucun problème ni médical, ni matériel.
J’ai un magasin à tenir, une attente à satisfaire, des bouches à nourrir. Les prochaines fois, je sortirai le flingue avant de laisser la balle m’atteindre, pour mon bien, pour le bien de mon entourage.
Sous le blindage, la plage.
Je ne suis pas au courant de ce qui s'est passé.
Si je comprends bien, le succès de vos vidéos a fait naître une certaine méfiance, rancune de certains professionnels ?
Méfiance, rancune, je ne pense pas.
Nos vidéos, et plus largement l’émergence des influenceurs, a été un micro bouleversement dans notre petit milieu.
Et les codes, les ego, bien des habitudes et des gens s’en sont trouvés bousculés. Instagram, Youtube et Facebook sont devenus les vecteurs principaux de hype, loin devant Tric Trac, autrefois lieu de quasi toutes les convergences francophones d’influence.
Notre ton a pu heurter ceux qui ne concevaient le jeu que comme objet sacré, loin de toute considération profane et mercantile. Ceux-là même vivent de ces mêmes ventes d’objets de consommation depuis des années... soit...
Note indépendance de choix a pu être vue négativement. Car non maîtrisable et douce de rancune. « Pourquoi la mise en avant du jeu de tel éditeur et pas le nôtre ? »
Le fait que l’on soit une boutique incite bien souvent nos confrères éditeurs, auteurs et distributeurs à ne pas promouvoir nos contenus par peur de mettre en avant une boutique plus qu’une autre.
Humainement c’est d’une ingratitude folle. Quand tu bosses gracieusement comme un fou pour pondre une vidéo qui met en avant un jeu dont les ventes explosent suite à cela sans que jamais le moindre merci ou repartage de vidéo ne soit fait, c’est à devenir dingue.
Et en faire le reproche, c’est être vu comme une diva.
Et quant aux concurrents qui viennent t’attaquer sur ton soi-disant succès et passent leurs journées à te débiner auprès de confrères ou partenaires, c’est pathétique et c’est courant.
Et ceux qui viennent te cracher dessus, le ton relevé, en lançant un « vous achetez les vues » ou « une chaîne de top... c’est ça du bon contenu ? »...
Tout cela rend amer.
Il en reste que je sais que notre travail a propulsé dans le monde du jeu des milliers de personnes.
Savoir que tout ce travail, tous ces efforts ont eu une incidence sur le quotidien de dizaines de milliers de gens, sur leur bonheur, sur leurs vies est notre motivation à tous au sein de l’équipe.
Et si cela fait de moi au quotidien quelqu’un de stressé, empêtré de problématiques, de compta, de montages, de manque de temps, de sollicitations : un homme pressé, je sais pourquoi je le fais, pour qui je le fais.
C’est ma motivation, c’est notre motivation.
Le reste n’est que combustible. Bon à brûler, bon à alimenter notre machine.
Merci à toi Simon pour ta sincérité.
Pour ceux qui souhaiteraient soutenir mes entretiens, voici ma page tipeee, même un petit geste fait plaisir et vous pourrez contribuer à d'autres interviews réalisés sur des festivals (Cannes, Paris est ludique, Essen...) :
Merci à mes Tipeeeurs de me soutenir : Arnaud Urbon, Bruno Faidutti, Emilie Thomas, Nicolas Soubies ,Virgile De Rais, Pierre Rosenthal, et Ludikam!
Pour ceux qui souhaiteraient découvrir les précédents entretiens, mes animations ou suivre ma page facebook :
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Saison 1
Yves Hirschfeld
Benoit Forget
Bruno Faidutti 1ère partie
Bruno Faidutti 2ème partie
Naiade
François Haffner 1ère partie
François Haffner 2ème partie
Pierô Lalune
Timothée Leroy
Mathilde Spriet
Sébastien Pauchon
Tom Vuarchex
Vincent Dutrait 1ère partie
Vincent Dutrait 2ème partie
Christophe Boelinger 1 ère partie
Christophe Boelinger 2ème partie
Régis Bonnessée
Roberto Fraga 1ère partie
Roberto Fraga 2 ème partie
Cyril Demaedg
Bruno Cathala 1 ère partie
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Bruno Cathala 2ème partie
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Franck Dion 2ème partie
Franck Dion 3ème partie
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Saison 2
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Philippe Tapimoket 1ère partie
Philippe Tapimoket 2ème partie
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Michel Lalet 1ère partie
Michel Lalet 2 ème partie
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Nadine Seul 2 ème partie
Guillaume Lemery 1 ère partie
Guillaume Lemery 2 è me partie
Jérémie Fleury Tome 1
Aurore Matthey
Richard Garfield
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Eric Jumel
Hadi Barkat
Roméo Hennion
Clément Leclercq
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Claude Leroy 1ère partie
Claude Leroy 2 ème partie
Marie Cardouat 1ère partie
Marie Cardouat 2ème partie
Gabriel Nassif 1 ère partie
Gabriel Nassif 2 ème partie
Grégoire Sivan
Saison 4
Julien Sentis
Bertrand Arpino 1 ère partie
Bertrand Arpino 2 ème partie
Olivier Ruel 1 ère partie
Olivier 2 ème partie
Léonidas Vesperini 1 ère partie
Léonidas Vesperini 2 ème partie
Arnaud Demaegd
COMER
Guilhem Gallart alias Pone
Saison 5
Alain Mihranyan
Agathe Haffner
Maadou 1 ère partie
Maadou 2ème partie
Julien Delval