Organisateur
d'événements ludiques
J'ai décidé après avoir organisé 2 conférences d'auteur de jeu (Antoine Bauza et Hervé Marly) de continuer en ayant l'envie d'en savoir plus sur les hommes et les femmes, qui sont à l'origine des jeux auxquels nous jouons.
Auteur, éditeur, illustrateur...tant de métiers du monde ludique que nous pensons peut être connaitre mais exercés par des êtres humains tous différents.
Vous pourrez découvrir au fil de l'été une interview chaque semaine sur le facebook de Jeux Viens à Vous : Des gens très connus du monde ludique, tous passionnés, certains jeunes, d'autres moins, des invités très scolaires, d'autres plus dissipés... ;)
Mais comment faire? Que pouvais-je apporter de plus aux nombreuses interviews déjà faites avec professionnalisme par d'autres membres de la communauté ludique?
Je vais peut être en choquer certains, d'autres partiront dès maintenant mais ce qui m'intéresse avant tout ce ne sont pas les jeux!
Evidement j'aime joueur puisque j'en fais actuellement mon métier en tant qu'animateur, mais surtout ce sont les êtres humains, joueurs, auteurs, illustrateurs, peu importe, je voulais savoir pourquoi ils en étaient arrivés là où ils en étaient.
Pourquoi devenir auteur de jeux? Pourquoi se mettre à 50 ans à créer un gîte ludique? Quel est était leur parcours de vie? leur motivation, leur joie, leurs angoisses...
Ces interviews ne plairont peut être pas à tous, je le sais, mais j'espère que les autres y trouveront quelque chose de nouveau, de frais, le plus modestement possible, et toujours avec bienveillance de leur poser des questions parfois classiques, parfois moins convenues
Les interviews ont été réalisé par un échange de mails, question par question, afin de réagir aux réponses de mes invités. Ils pouvaient y répondre de manière courte ou longue, éluder la question, la contourner ou bien y répondre franchement.
Il fallait bien commencer par quelqu'un , et c'est à Yves Hirschfeld, l'auteur entre autre de Taggle, mais également metteur en scène à qui j'ai demandé d'être le parrain de ces interviews, un être subtile, émouvant, qui sous des aspects de joyeux drille cache une mélancolie d'artiste qui m'a personnellement touché .
Merci à Yves, merci à tous les autres qui viendront bientôt, merci à vous qui lirez ces interviews.
L'interview
Précision : Yves m'a demandé de le tutoyer, ce que j'ai donc fait.
1) Yves Hirschfeld, aurais-tu la gentillesse de te présenter?
Je m'appelle Yves Hirschfeld, (@Monpsyvite sur Twitter). Marié, plein d'enfants...Je suis auteur et metteur en scène pour le théâtre, auteur et réalisateur pour la télé, auteur de livres pour enfants et adultes, auteur de jeux de société et dessinateur. L'ensemble de ces activités n'est pas un mélange hétéroclite insondable, mais un seul et même travail protéiforme.
2) Tu parles d’un seul et même travail, qu’entends-tu par cela ?
Est-ce que ton métier de metteur en scène a influencé/aidé à ta vie d’auteur de jeux et si oui comment ?
A l’inverse, ta vie d’auteur de jeux a-t-elle eu des répercussions sur ta vie professionnelle? As-tu une anecdote ?
Comédien à la base et metteur en scène, j'ai commencé à écrire des pièces pour mes camarades et moi-même, histoire de me servir...mes histoires. Dans cette période des années 80, un besoin d'expression et de création m'animait. De rencontres en rencontres, je me suis mis à dessiner, à écrire des chansons pour des groupes de rock, à écrire des bouquins, à imaginer des émissions de télévision, à les tourner, à inventer des jeux de société. En France, cet esprit multiforme est mal vu. Un type qui pratique plusieurs spécialités est appelé avec un certain mépris "touche à tout". Non, je ne suis pas un touche à tout, j'explore mon imaginaire en utilisant plusieurs outils que j'utilise selon mes objectifs.
Ce qui a influencé ma vie d'auteur de jeu, c'est le jeu au sens large. Le jeu au théâtre comme le jeu de société sont des échappatoires, des besoins de rêve impérieux.
En faisant jouer les gens, c'est d'abord moi que je tente d'amuser.
3) Ca veut dire quoi faire jouer les gens ?
En faisant jouer les gens, c'est d'abord moi que je tente d'amuser. Mais attention ! Tout concepteur de jeux que je suis depuis de nombreuses années (Une bonne quinzaine édités), je ne joue à presque aucun jeu. Ce n'est pas que je n’apprécie pas, ce n'est pas non plus le fruit d'un égoïsme forcené ou le manque d’intérêt vis-à-vis des autres, mais tout simplement parce que je n'ai aucun sens de la stratégie et aucun esprit cartésien. À peine me donne-t-on la première phrase d'une règle que je ne la comprends pas.
En revanche, tous mes jeux (dont je partage souvent la conception avec mon ami Fabien Bleuze) sont issus de mon parcours dans le monde du théâtre, de la scénarisation et de l'expression artistique. Ce sont toujours des règles qui mettent en avant le langage, le dialogue, l'improvisation (je suis aussi prof de théâtre...) mâtinées d'une bonne dose de crétinerie, si possible.
Et lorsque j'ai inventé des jeux plus stratégiques, c'était avec des copains plus matheux que moi.
4) A ce propos, on t’associe souvent à Fabien Bleuze, que peux-tu nous dire sur cette relation d’amitié et de travail ?
Comment fais-tu la part des choses entre les moments de travail et ceux de « déconne » ?
J'ai connu Fabien il y a des années, lors d'un projet d'émission sur Canal+ où un producteur nous avait réuni en tant qu'auteurs. Nous avons sympathisé et collaboré à l'écriture. Puis nos routes se sont séparées. Tandis que je poursuivais mes activités d'auteur-réalisateur à la télé, il traçait aussi son chemin dans le même domaine, pour d'autres productions. Un jour, alors que je préparais une série pour TF1, il me contacta. Nous avons déjeuné, puis nous avons commencé à réfléchir à des scénarios de films, pièces de théâtres et projets télévisuels. C'est alors que m'accompagnant chez un éditeur de jeux de société (Asmodée) avec qui j'avais rendez-vous pour parler de mon jeu COMEDIA, il me sortit la phrase qui déclencha notre collaboration : "pourquoi tu ne fais pas un jeu qui s’appellerait TAGGLE ?". J'ai trouvé ce titre très fort et résolument moderne pour l'époque. Taggle, qui sonnait comme Boogle ou Google, à la fois un peu agressif mais sympa et décalé. Le problème c'est que je n'avais pas d'idées de jeux qui pouvaient s'adapter à un tel titre. Mais un jour, je me suis souvenu d'un machin ludique que j'avais inventé 15 ans auparavant et qui traînait dans mes tiroirs à PQF*. Toutes affaires cessantes, j'ai alerté Fabien que son titre collait avec ma vieille idée inaboutie. Et puisque nous travaillions déjà sur des tas de projets plus ou moins voués à l'échec, je lui ai proposé de collaborer. Nous avons donc amélioré ensemble le principe et le premier jeu que nous avons sorti fut "SPEECH" chez Cocktail Games. Depuis, je propose souvent de nouvelles directions à mon pote et lui-même commence à initier certains projets.
*PQF : C'est ainsi que je nomme "Les Projets Qui Foirent"
Pour répondre à ta question "travail et moments de déconne", en quelques mots : Je tente de joindre la déconne dans mon travail. Je tente de joindre le travail dans ma déconne. Je fais œuvre de déconne pour mon travail. Le deux sont intimement liés dans tout ce que je fais. Mais le plus souvent, dans toutes mes activités, cette déconne est le fruit d'une angoisse existentielle, elle vient nourrir la mélancolie et introduire du second degré dans les complexités de la vie. Je déconne pour ne pas sombrer. Et j'en fais un peu un métier.
5) Vous faites, Fabien et toi, plutôt des jeux d’ambiance
Les gens ont plutôt tendance à croire qu’un jeu compliqué est plus difficile à créer, que peux-tu leur dire ? T’es-tu posé la question de faire un jeu dit « sérieux » afin d’être « reconnu » par les joueurs dit core ?
Je fais, ou Fabien et moi faisons des jeux d'ambiance car ce type d'instruments ludiques et davantage dans notre esprit. Lorsque j'avais sorti "AMBITION" en 1987 qui était un jeu de stratégie très sérieux, nous avions, Gilles Monnet (coauteur) et moi, tout pensé pour que ça reste souriant. Mais je ne sais pas ce qu'est un jeu "sérieux". Je compare le jeu de société au jeu d'acteur. Les procédés psychologiques sont les mêmes : On s'évade, on s'approprie un personnage qui est une émanation de sa propre personnalité, on écoute les autres, on s'invente, on réinvente pour briller, on rit, on a peur...bref ! Le jeu "sérieux" n'existe pas puisqu'il s'agit toujours de prendre plaisir. Quant à la création proprement dite, il est aussi difficile de trouver un bon concept dans le jeu d'ambiance que dans celui de stratégie. Le tout est d'avoir l'idée, qu'elle tienne la route et qu'avec beaucoup de méthode on progresse dans l'élaboration d'un objet excitant.
6) On dit parfois que les comédiens comiques sont des gens dépressifs ou en tout cas qu’ils cachent leur tristesse/noirceur derrière de l’humour ?
Confirmes-tu cela ?
Toi qui crées des jeux d’ambiance, as-tu un côté de ta personnalité que tu tenterais de dissimuler par ce biais ?
On ne peut pas dire que tous les comédiens comiques sont dépressifs. D'abord parce qu'un comédien complet n'est pas forcément comique ou dramatique. Il peut être les deux, selon la demande d’interprétation. Pour autant, les "amuseurs", les "comiques" cachent très souvent une nature angoissée, voire mélancolique. Ils dissimulent leur tristesse par des assauts d'humour plus ou moins légers ou désespérés, comme le peintre le fait avec les couleurs, comme le cuisinier le fait avec des sauces. Le monde ne s’intéresse pas à celui qui apparaît toujours maussade et douloureux. Il préfère rire pour amadouer ses propres démons.
7) Par expérience, on ne se rend vraiment compte de la magie d'un acteur que lorsqu'on le dirige, sur un plateau ou sur une scène.
Peux-tu nous parler, de l'affection entre un acteur et un metteur en scène et de cet instant magique lorsque l'acteur donne vie au texte dont tu es l'auteur?
Portes-tu la même affection aux acteurs qu’aux joueurs ?
Rien n'est plus exaltant que l'acteur qui entre dans le personnage, comprenant ce que recherche son metteur en scène. Il peut devenir ce personnage très vite ou mettre du temps à l'acquérir. Peu importe ! S'il ne trouve pas, ce sera à tout jamais un manque terrible pour lui, pour le metteur en scène et pour la pièce elle-même. L'acteur porte le texte, le sublime ou en atténue sa valeur s'il n'a pas saisi le sens. Ou pire, s'il ne parvient pas à entrer dans le personnage. Le bonheur vient naturellement de cet instant magique où l'acteur devient précisément le "désir" de l'auteur-metteur en scène.
Il n'y a pas de parallèle entre des acteurs qui jouent ta pièce et des joueurs qui jouent à tes jeux, car dans un premier cas, les acteurs interprètent ton texte et que dans l'autre, ils sont à la fois spectateurs et acteurs. Or, jamais un comédien ne doit être spectateur lorsqu'il joue. En revanche, l'auteur de jeux conçoit du plaisir lorsqu'il voit le public s'amuser ou se passionner devant l'objet ludique qu'il a imaginé.
8) As-tu eu des périodes creuses en tant qu’auteur de jeux (projets qui n’aboutissent pas, refus d’éditeurs, peu de ventes, etc…) et comment l’as-tu vécu ?
Pour les raisons qui suivent, je n'ai pas de périodes creuses en tant qu'auteur :
-Entre l'idée de départ, la création, le développement, la recherche d'un potentiel éditeur, la fabrication et l'édition elle-même, il se passe facilement un à trois ans.
J'ai la chance d'être régulièrement édité (souvent par l'excellente société Le Droit De Perdre...), hé bien, lorsque nous nous décidons pour la parution d'un jeu, François Lang (éditeur), Fabien Bleuze et moi-même, passons des heures carrées à peaufiner, nous remettre en question, analyser chaque étape et ainsi, les mois passent jusqu'au jour où le produit soit mis en vente.
Dans mon cas, il faut ajouter que mes activités au théâtre, à la télé, à l'écriture de bouquins ou scénarios, au dessin, etc... ne me laissent pas vraiment le temps de procrastiner.
Enfin, je tiens à évoquer mes PQF (Projets Qui Foirent). Bien entendu, il y a les fausses bonnes idées sur lesquelles je passe beaucoup de temps avant de m'apercevoir que le résultat n'est pas passionnant. Et puis les projets sensationnels mais pas encore aboutis et que je présente bêtement à un éditeur qui me renvoie à mes chères études. Ajoutons les machins trop chers, les trucs que d'autres ont fait avant moi, les bidules qui fonctionnent avec la famille et les copains mais plus du tout face à l'éditeur.
Pourquoi ne pas créer des jeux où le simple moment passé ensemble à discuter, délirer loin des ordinateurs, rire sans se confronter, primerait sur le reste ?
9) Dans la conférence gesticulée, Pourquoi je ne serai jamais Luis Fernandez, l'auteur explique que le sport (pas en tant qu'activités physiques mais en tant qu'objet de compétition) s'est développé en parallèle au capitalisme, afin d'imposer un mode de pensée comportant dix perdants pour un gagnant.
Avec le droit de perdre, justement, vous dénoncez le devoir de gagner à tout prix et de jouer avant tout pour le plaisir.
Veux-tu nous en dire plus?
C'est vrai que le jeu (sport, jeu de société...) fait rejaillir ce besoin presque inné chez l'homme de conquête, de gain, de victoire. On joue en bourse pour gagner du pognon, on joue au foot pour marquer plus de buts que ses adversaires, on joue à la "bataille"(sic) pour battre l'autre. Le jeu de société, issus des jeux où le principe est d'écraser son partenaire (échecs, dames, cartes, dés...) ne déroge que très rarement à la règle. L'être humain a toujours eu besoin de faire montre socialement de sa force, ou supériorité. Dans l'esprit du Droit De Perdre, il faut considérer que l'essence de notre philosophie est plus proche de l'art du théâtre, des mots, de l'expression, de la communication et surtout de la fantaisie impertinente. Dès lors, pourquoi prouver aux autres qu'on est plus balaise, plus intelligent ou plus stratégique ? Pourquoi ne pas créer des jeux où le simple moment passé ensemble à discuter, délirer loin des ordinateurs, rire sans se confronter, primerait sur le reste ? D'ailleurs, nous ne sommes pas particulièrement appréciés des authentiques "gamers" qui ne voient pas où est le plaisir de jouer sans écraser ses congénères. C'est normal ! Notre univers n'est pas celui de la compétition, mais celui de "l'amusement intellectuel", comme les acteurs qui improvisent ou les dadaïstes qui confrontent leurs points de vue décalés.
Et pourtant ! Chacune de nos parutions présente toujours une règle qui permet de gagner, si vraiment les joueurs ne supportent pas l'idée de rire sans marquer des points. Seule concession à la tradition, il est toujours possible de gagner à nos jeux, mais on s'en fout, du moment qu'on rigole avec chaleur et empathie !
10) Penses-tu que le jeu de société avec toutes les qualités qu'il possède doit être utilisé au niveau des écoles? Si oui, sous quelle forme (théâtrale, stratégique...) ?
Même question pour les entreprises
Le jeu de société est nécessairement un outil pédagogique. Aujourd'hui plus encore qu'hier car la multiplicité des titres proposés permet de piocher à foison dans toutes les directions recherchées : La stratégie, la concentration, l'expression, l'entraide (parfois), le calcul, la méthode...
Tous les âges sont concernés et chaque éditeur s'est plus ou moins spécialisé dans un domaine. Il est donc sain de jouer, utile, voire indispensable. Le jeu devrait même être considéré comme une matière scolaire, tant elle développe le sens de la réflexion.
Et même les jeux dits "crétins", apportent souvent leur lot d'analyse et d'altruisme en ce qu'ils poussent les participants à s'exprimer ensemble.
De fait, dans le cadre des entreprises ou des séminaires, l'objet ludique serait également indispensable car il véhicule des réflexes de maîtrise et d'humour très enrichissants pour les groupes. À condition, bien entendu de choisir intelligemment les jeux.
J'ai, pour ma part, souvent animé des séminaires d'entreprise avec mes jeux d'expression. On s'amuse, on apprend à se parler, à se réguler, on se découvre. Dans les périodes difficiles de tensions commerciales ou entre employés, le jeu calme le jeu.
11) Peux-tu nous raconter un moment mémorable que tu as connu grâce au jeu?
Comme tout le monde, j'ai autant de joies que de déceptions et bon nombre d'aventures plus ou moins marquantes. Pas autant que dans mes autres activités théâtrales et télévisuelles, mais tout de même.
Je n'évoquerai qu'une histoire ancienne mais assez épique, qui mêle à la fois ces deux notions de bonheur et malheur.
Avec mon ami Gilles Monnet, nous avions conçu ce jeu de stratégie : AMBITION*. C'était en 1987, l'époque où la notion "d'entreprendre" était très tendance. Bernard Tapie figurait alors comme le fringuant parangon de cette mode du golden boy. Notre jeu, dans lequel chaque joueur devait faire fructifier son entreprise de chocolat tombait à pic.
La règle implacable, basée sur des négociations plus que sur le hasard (il n'y avait pas de dés...) remporta un vif succès puisque nous avions reçu le Dé d'or, suprême distinction en France. Joie ! Et autre joie lorsqu'une édition prestigieuse à l'époque (Schmidt Allemagne et Schmidt France) nous proposèrent d'éditer notre projet avec force appui marketing.
Un matin, très tôt, j'entends à la radio que Bernard Tapie allait animer une émission en prime time sur TF1, qui se nommerait AMBITION. Stupeur ! Nous avions déjà eu le privilège d'apparaître dans plusieurs articles de presse qui vantaient l'originalité de notre jeu et en annonçaient la sortie. Nous avions même envoyé ces rubriques à Tapie lui-même. Au cas où. Mais nous n'avions pas encore déposé la règle, ni même le titre. Après un échange téléphonique avec Gilles, ma femme se précipita dès potron-minet à l'INPI.
Quelques jours plus tard, c'est le service juridique de TF1 qui nous téléphona pour nous assigner en justice au prétexte que nous avions entendu l'annonce de l'émission tel jour à la radio et que ce même jour nous sommes allés protéger le titre, devançant ainsi TF1.
Nous voici convoqués dans le groupe télévisuel pour entendre notre verdict. Mais nous étions sereins. Et pour cause !
Assis sur la sellette (deux minuscules tabourets pour nous humilier), face à une véritable cours d'assise, engoncée dans de gros fauteuils afin de nous impressionner, voilà que tout cet aréopage de juristes, directeurs, avocats, etc. commence à nous agonir de malédictions, tendant à prouver que nous étions des escrocs qui avions déposé un titre en doublant leur institution.
Et là, retournement de situation. Très calmement, nous avons contre-attaqué en leur indiquant que c'est nous qui allions les traduire en justice puisque nous avions déclaré que notre jeu était sorti chez un éditeur, que cette parution était annoncée depuis longtemps par la presse et que bien avant leur dépêche à la radio nous avions envoyé ce dossier à Bernard Tapie. Panique totale dans cette assemblée de potentats thermoformés et sans cœur, obligés de s'excuser en bafouillant. Jubilation des deux humbles auteurs que nous étions.
Bêtement, nous avons proposé un deal qui fut accepté : Nous n’attaquerons pas si Bernard Tapie nous reçoit dans sa glorieuse émission AMBITION pour présenter deux gamins qui sortent justement un jeu qui porte le même nom.
Plus de nouvelles ! Plus jamais de nouvelles. Nous avons eu Tapie au téléphone une fois, qui nous avait alors endormi en nous promettant des merveilles, mais jamais nous n'avons été convié dans cette émission, qui ne dura que ce que durent les roses.
La fin de l'histoire est à nouveau triste. Alors que notre jeu se vendait merveilleusement bien, tant en France qu'en Allemagne (des clubs se montaient...) notre éditeur eu l'idée néfaste de sortir un nouveau produit assez similaire au notre, concurrençant AMBITION en interne. Ce presque double venait brouiller la démarche commerciale et affaiblir notre parcours de winners.
*Aujourd'hui, avec mon pote Gilles, nous préparons la reparution de ce jeu au titre désuet (que nous allons changer) mais dont la règle demeure très efficace.
12) Sachant que tu m'as lancé une piste, une aventure mémorable dans ton monde professionnel?
Particulièrement difficile de donner des exemples d'aventures mémorables ! Elles le sont presque toutes et nécessiteraient un tel nombre de pages que l'interview se transformerait en roman. Chaque nouveau projet au théâtre, à la télé, en écriture, dans la création en général apporte son lot de rebondissements et de surprises. Les bonnes et les mauvaises. Récemment, j'écrivais en duo avec une copine une comédie musicale. Il s'agissait d'une énorme production qui m'avait passé commande du scénario. Or, le metteur en scène que nous avions nous-même proposé (un copain) s'est organisé très habilement pour nous évincer afin de s'approprier la majorité du script. Nous n'avons rien vu venir et le producteur est également tombé dans le panneau, persuadé que toutes les idées venaient du metteur en scène. Nous avons préféré partir plutôt que de vivre un psychodrame permanent. Mais il y a aussi les heureuses conjonctures. Par exemple, je prépare en ce moment une émission de télévision que je vais tourner en avril pour une chaîne importante. Ça fait maintenant 20 ans que je propose mon projet à toutes les télés et à un grand nombre de producteurs. Personne n'en voulait. Même au sein d'une production dans laquelle j'étais associé, je ne parvenais pas à imposer mon idée. Il y a 3 ou 4 ans, j'ai fait la connaissance d'un producteur qui lui, a tout de suite apprécié le principe. Il s'est battu 2 ans et aujourd'hui, je suis en train de faire le casting des comédiens. Et l'aventure ne fait que commencer.
une petite claque dans la gueule pour apprendre à faire des choses plus réfléchies n'est pas inutile.
13) Quel a été ton moment le plus triste dans le monde du jeu ?
Comme beaucoup, de nombreuses déceptions. Des jeux refusés, bien entendu. Parfois à juste titre, sans doute. Mais je prendrai deux exemples. Durant la mode des Wars games, j'avais inventé un jeu de blocage que j'avais nommé "Wall game". Comme son nom l'indique, il s'agissait d'avancer des pions ( ou soldats) pour conquérir le territoire ennemi ; avec des murets en bois qui se glissaient dans les rainurages d'un plateau, on tentait d'encercler et de ralentir la progression des adversaires en créant des couloirs. J'avais fait le tour des grands éditeurs de l'époque jusqu'à Nuremberg. Personne ne semblait intéressé jusqu'au jour où j'ai découvert un bon paquet de jeux qui utilisaient et utilisent toujours ce procédé.
À la même époque, j'avais inventé un jeu moitié culturel et moitié plein air. Une sorte de jeu de lettres un poil sportif : le "Flechmot". Une cible numérotée au centre et sur les côtés de la même cible, toutes les lettres de l'alphabet. Le principe consistait à lancer 3 fléchettes pour tenter d'obtenir le meilleur chiffre qui allait devenir le coefficient multiplicateur du mot réalisé en visant le plus de lettres possible avec ses autres fléchettes. Naïvement, j'entrepris de fabriquer moi-même le jeu. Plutôt que de partir en vacances, je passais tout le mois d'août à construire mes cibles en liège. J'avais investi dans le liège mais aussi acheté un matériel de serigraphie (j'en avais déjà fait) pour imprimer 2000 jeux dans le garage d'un copain. Ça n'en finissait pas ! L'artisanat est l'école de la patience. Quant aux fléchettes, j'en avais commandé 6000 ! Oh misère ! Quel été glauque et laborieux pour un môme de 23 ans ! En septembre, j'arpentais les rues de Paris avec mes échantillons sous le bras. Et, contre toute attente, les magasins semblaient séduits. Ils m'en prenaient deux ou trois chacun, parfois plus. En dépôt-vente, évidemment. Mes efforts semblaient couronnés de succès. Hélas, le destin frappa très fort sur le crâne du brillant chef d'entreprise que j'entendais devenir. 15 jours plus tard, je recevais des coups de fil des boutiques. Toutes mes plaques en liège sur lesquelles j'avais imprimé mes cibles se tordaient. En effet, n'y connaissant rien, je n'avais pas fait stabiliser cette matière dont j'ignorais qu'elle se gondolait sans l'application d'un traitement spécial. Tout ce travail, tout cet investissement n'avait servi à rien.
Mais à y repenser, le jeu lui-même était très malin et dans l'apprentissage de la vie, une petite claque dans la gueule pour apprendre à faire des choses plus réfléchies n'est pas inutile.
Tiens, j'y pense, j'ai encore 3000 fléchettes à donner.
14) Souhaiterais tu nous parler d’un auteur ou d’une œuvre qui à tes yeux mériterait d’être connu ?
(Monde du jeu, littérature, etc…)
La question est trop vaste. Je connais tant de gens talentueux dans tous les domaines. Les artistes, en général, sont destinés à rester dans une ombre relative. Lorsqu'ils percent, lorsqu'ils deviennent célèbres c'est souvent qu'un concours de circonstances s'en est mêlé. Nous connaissons tous des peintres, auteurs, acteurs magnifiques qui ne sont pas doués pour se vendre. Et pour cause, ils n'ont pas les pieds sur terre. Ne pas avoir les pieds sur terre est le propre de l'artiste.
Mon livre de chevet : le journal de Jules Renard. Tant de philosophie poétique, décalée et drôle ! Tant d'angoisses existentielles ramenées à des petites ou grandes pensées si bien formulées, brillantes et sublimées par un esprit fin, cultivé et humoristique.
J'avance avec la peur au ventre, mais le sourire décalé aux lèvres
15) C’est malheureusement ma dernière question, globalement, si je prends ta vie professionnelle et personnelle, Yves es-tu heureux ?
Je ne sais pas ce qu'est le bonheur. Je suis un mélancolique joyeux, ou un joyeux mélancolique. Toujours à la frontière de la neurasthénie, taraudé par les angoisses existentielles, je me déguise chaque jour en camarade vif et enjoué. Ce costume est heureusement une seconde peau qui me permet de traverser le parcours chaotique de la vie. J'avance avec la peur au ventre, mais le sourire décalé aux lèvres. Cette tristesse inhérente à ma nature est sans-cesse battue en brèche par la toute puissance de l'humour que je tente d’accueillir ou de dispenser au quotidien. Dès lors, l'ensemble de mon travail est presque toujours construit sur le terreau de la souffrance pour mieux en rire et donner de la profondeur à mes petits délires d'auteur-amuseur. J'avais écrit un livre avec mon pote Costric 1er, aujourd'hui disparu : La Grande Encyclopédie De l’Échec Total (4Zéditions). Il résume à lui seul la manière avec laquelle j'aime déconner à fond sur une thématique grave.
Je ne suis donc pas heureux car je ne connais pas cette notion, mais je ne suis pas malheureux. Dans tous les domaines j'ai eu de beaux succès, des joies ineffables, mais tant d'échecs aussi. Je me suis souvent fait piller des idées avec la rage que cette situation engendre. Parfois je n'ai pas su convaincre, mais ma vie personnelle et professionnelle ferait pâlir d'envie bien des gens.
J'ai toujours entendu des interviews où les invités annoncent avec force conviction :"Si je devais recommencer, je ferais exactement pareil". Pas moi ! Si je devais recommencer, je ferai partout pareil, mais putain, vachement mieux !
Merci beaucoup Yves Hirschfeld
Le lien de l'interview sur le facebook de Jeux Viens à Vous :
https://www.facebook.com/jeuxviensavous/
Une interview chaque semaine