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Jeux Viens à Vous Arnaud Demaegd

 

Il y a 3 ans j'interviewai Cyril Demaegd, en 4 jours seulement. 
Pour son frère Arnaud, illustrateur, vivant dans l'ombre de Cyril, il m'aura fallu des années.
Plus complexe, plus sombre, Arnaud est un artiste à part entière.

A la fois pragmatique dans ses illustrations pour le jeu de société et de manière plus personnelle lorsqu'il s'agit de peindre notamment pour lui-même. 

Avec Arnaud nous évoquons sa relation étroite avec son frère, son travail dans le monde du jeu, son rapport à la musique, ce que représente l'art pour lui, mais nous parlons également de Céline, de politique et d'environnement... 

Un entretien vrai et fort.

 

1) Arnaud, bonjour, aurais-tu la gentillesse de te présenter ?

Bonjour ! J'ai 45 ans (43 au début de cet interview), deux enfants, un chien, une tortue, un pogona, de nombreuses passions et de multiples activités. J'ai toujours dessiné, me suis toujours destiné à l'art... mais les choses ne se sont pas passées comme je l'espérais enfant.

 

Au moment de m'orienter après le Bac, j'ai choisi l'anglais par sécurité... et j'ai étudié 10 ans à la Sorbonne jusqu'à l'obtention de mon doctorat de linguistique. J'ai naturellement commencé à donner des cours pour gagner ma vie, et j'ai peu à peu oublié non pas mes passions (la peinture, la musique), mais qu'il était possible d'en vivre.

 

Aujourd'hui, j'enseigne la phonologie anglaise dans une université privée (les facs publiques n'ont pas voulu de moi ; je ne rentrais pas suffisamment dans les cases !), je traduis de la fantasy pour les éditions Bragelonne, et je suis bien sûr illustrateur dans le domaine du jeu chez Ystari Games / Space Cowboys, et dans le domaine du livre chez divers éditeurs, dont Bragelonne et Fleurus. 

Mon parcours fait que je suis multitâche ; mais en vérité, à trop se disperser, on dépense beaucoup d'énergie et on perd de vue l'essentiel.

Pour moi, l'essentiel, c'est l'art, la musique, la création. Certes je suis illustrateur et ça me plaît, mais être illustrateur et être artiste, dans mon esprit, c'est très différent.   

 

 

2 A) Que représente justement pour toi l'illustration?
2 B) Et que représente également pour toi l'art ?


Je vais forcément enfoncer des portes ouvertes en disant, par exemple, que l’artiste est le seul décisionnaire dans son processus créatif (sauf bien sûr quand une galerie lui impose le sujet, ce qui, je pense, est un peu contre-productif). Au contraire, l’illustrateur propose, mais l’éditeur dispose. Si ce dernier décide que l’illustration sera bleue plutôt que rouge, elle le sera.

Cela dit, c’est normal : si l’œuvre d’art a une raison d’être personnelle à l’artiste, l’illustration a pour vocation de promouvoir, d’embellir ou d’expliciter un autre support. L’art d’aujourd’hui n’est plus obligé d’être « beau » ou « bien fait ». Pour l’illustration, quel qu’en soit le style, il y a quand même une certaine contrainte esthétique et un degré de maîtrise technique minimum.

Il y aurait encore bien des distinctions à donner, mais je vais me contenter d’une dernière, très importante à mon sens : L’art vient d’une nécessité de créer, d’exprimer ou de montrer (il vient des tripes, en quelque sorte) et exige idéalement une grande liberté. L’illustration est un boulot, et comme dans bien d’autres boulots, tu utilises une somme de savoir-faire pour atteindre le but fixé par un client.

D’ailleurs, l’illustration de jeu a des contraintes supplémentaires qui peuvent être vues soit comme un carcan soit comme un cadre « rassurant ».

En parlant de carcan, je dois quand même préciser que je suis assez chanceux parce que j’ai toujours eu une liberté certaine de création aussi bien chez Ystari Games que chez les Space Cowboys. Chez Ystari, j’ai eu carte blanche sur des jeux comme Sylla (aujourd’hui dépassé esthétiquement, mais il marque pour moi un changement d’approche et une acceptation des contraintes que je viens d’évoquer), Myrmes, Olympos, Détective Conseil. Dans le cadre des Space Cowboys, ce n’est pas vraiment une carte blanche parce que c’est plus cadré, mais on écoute ce que j’ai à dire et on considère mes propositions. C’est un partenariat, pas une relation de commanditaire à exécutant. Je ne me sens pas prisonnier, sinon de ma propre envie de mieux faire.



3) Question qui se pose actuellement avec notamment le livre Michel Lalet, Auteur de jeux, un art à part entière.
Considères-tu le jeu comme un art ou comme quelque chose d'autre ?


Eh bien... Tout dépend de la définition du mot art ! Si tu parles de l'art comme savoir-faire, c'est indéniable. Si tu parles de l'art qui sort des tripes, c'est autre chose, le besoin irrépressible de mettre au monde une création... je ne sais pas !

Un auteur de jeu serait mieux placé pour dire ce qu'il ressent, ce qui le pousse à créer. Pour moi, naïvement, je dirais qu'un jeu peut partir d'une idée ou d'une envie, mais ensuite, le développement des règles est un processus très intellectuel, très technique.

J'ai d'ailleurs vu mon frère expliquer les principes des règles à une classe de collège où nous intervenions. En fonction de l'orientation que les élèves souhaitaient donner au jeu qu'ils devaient créer, il leur a trouvé en dix secondes un moyen de faire en sorte que le jeu "s'auto-équilibre". Ses connaissances en la matière sont encyclopédiques ! Si l'art réside dans le savoir-faire (et c'est indéniablement l'une de ses définitions), alors, Cyril est un artiste du jeu. Je suis de toute façon bien placé pour connaître sa créativité ! 

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4 A) Différents métiers demandent un savoir-faire, des techniques sans pour autant se revendiquer en tant qu'art.
Mais tu sembles j'ai l'impression penser comme moi que l'art vient des tripes.
Je me trompe ?


Là, tu mets le doigt sur un problème. C’est une revendication de légitimité, ce qui sous-entend que le jeu en aurait besoin. Encore une fois, il est légitime de parler d’art, puisque ça colle à la définition « officielle ». Après, à titre personnel, si je ne ressens pas un besoin de créer qui, effectivement, vient « des tripes », je n’ai pas l’impression de faire de l’art, mais juste de produire une image.

"Rien qu’en écrivant ces lignes, je suis de nouveau gagné par la colère !"

 



4 B) D'ailleurs qu'as-tu besoin d'exprimer par ton art ? Des questionnements ? Un mal être ? Des idées qui te viennent ?

Pour ce qui est de ce que j’ai besoin d’exprimer, je suis sûr que ce n’est pas très original. Parfois, c’est de la frustration, une impression d’enfermement, une révolte contre les figures imposées et l’étiquetage. Mes images personnelles expriment souvent une certaine crispation, une angoisse, d’où la nécessité de les « sortir ». Elles ne sont pas destinées à plaire esthétiquement. C’est de la peinture cathartique. Mais j’ai au moins un exemple de peinture née d’un sentiment de colère : j’avais vu un sondage dans un magazine international d’illustration, et qui portait sur les plus grands peintres de fantasy.

Des maîtres comme Frazetta arrivaient assez bas dans le classement, et un amateur (dont les copains avaient dû faire du bourrage d’urne) finissait premier. Or, cet amateur, en plus d’être techniquement mauvais, absolument dénué de connaissances en anatomie, en perspective, en dessin, en couleur, en lumière, en application de la peinture numérique, produisait des images qui consistaient en une somme de tous les travers stylistiques de l’époque : guerrières dénudée avec armure limitée à un soutien-gorge en métal, recours excessif au dessin Manga (qui demande une grande maîtrise, notamment du dessin réaliste), épées de 300 kg, poses de pinups (mal) pompées dans des magazines, innombrables sources de lumière qui rendent l’image illisible, toute l’image rendue avec le même niveau de détails sans se préoccuper de la notion de centre d’intérêt…

Bref, c’est en réaction contre le manque de connaissance de l’art de cette personne que j’ai peint ma Vierge à l’épée. C’est drôle, ce genre de choses me révulsent. Rien qu’en écrivant ces lignes, je suis de nouveau gagné par la colère !

Mais bon, attention : tout le monde a le droit de débuter. Je regrette simplement le manque d’engouement pour la culture, l’histoire de l’art, de l’illustration (voire l’histoire en général), chez des gens qui sont censés aimer l’art puisqu’ils le pratiquent.

Pourquoi ces influences sont-elles mal digérées ? Parce qu'elles ne sont assises sur aucun socle culturel. C'est un laïus que j'ai parfois l'occasion de ressortir dans mes cours à la fac, quand j'entends par exemple un élève me dire « Je ne connais pas, je n'étais pas né ». Enfin, bref, les sujets de révolte sont légions dans notre société, et la colère est un moteur créatif comme un autre !


Pour répondre à ta réponse 4 A), c'est justement l'une des choses qui me choque un peu actuellement, c'est le fait que l'on parle de revendication pour acquérir une légitimité.
On part d'un but pour arriver à une définition qui nous arrange.
C'est comme si Nike ou Peugeot définissaient leurs produits comme des œuvres artistiques pour se donner une valeur autre, se démarquer des autres marques.
Le jeu ne serait-il pas simplement quelque chose d'à part entière tout simplement ?


Eh bien je crois que c’est un principe de base, en tout cas en publicité : transcender l’objet à vendre, donner l’impression qu’il n’est pas un simple objet. Ta voiture ne doit pas être une simple voiture. Le papier toilette, c’est de la douceur, de l’amour. Le jeu est quelque chose de respectable, et une grande source de créativité… mais malgré tout, il n’arrivera peut-être jamais à être considéré comme une activité sérieuse en dehors d’un cercle assez restreint – cercle qui s’est élargi mais qui, je crois, rétrécira à nouveau quand ce que j’appellerais la « frange papillonnante » de la population s’en désintéressera. Il n’y a guère que les arts et les sports pour rester au sommet des préoccupations de la majorité. Et encore, pour les arts, on parle surtout de cinéma, de musique et de littérature populaires. Enfin bref, je pense, pour le comportement dont tu parles, que c’est quelque chose de bien naturel, un réflexe, voire un cliché. Si tu transcendes l’objet sur lequel tu travailles, tu te transcendes toi-même. Dire que le jeu est un art revient à dire que créer des jeux fait de toi un artiste.

Et l’artiste fait rêver…

 

En tout cas, la vision fantasmée de ce qu’est un artiste ! Moi, dans mon expérience, être artiste, ou essayer de l’être, c’est une vie de frustration. De déceptions. Mais tout le monde n’a pas la même perception de la chose, heureusement !


 


5) Justement quelles sont tes bases artistiques et culturelles ?
Tu le disais, tu as suivi des études de linguistique et non d'art.
Comment as-tu acquis cette culture artistique ? Par la lecture ? T'es-tu trouvé un mentor ?


Pour répondre à ta seconde question, je suis autodidacte. Ma culture au sens large, et artistique en particulier, me vient à la base de mon père. Et bien entendu, de l’émulation avec mon frère. C’est par l’intermédiaire de mon père que j’ai découvert Frank Frazetta, qui m’a beaucoup marqué comme nombre d’artistes. Mon père dessinait, de même que ma tante. Ils travaillaient à la plume et à l’encre de Chine, alors mon frère et moi – comme tous les enfants d’ailleurs – nous nous sommes assez naturellement mis au dessin.
Pour ce qui est de la peinture, ce n'est venu que bien plus tard, car cela m'effrait un peu. Ma mère m'a beaucoup aidé en m'achetant nombre de livres sur la question, et en m'inscrivant à un atelier communal où j'ai pu mettre en pratique ce que je lisais. 

Et puis il y a mes premiers souvenirs de cinéma avec Star Wars IV, à la projection duquel ma mère nous avait accompagnés. Donc voilà, mon enfance, c’est Frazetta et Star Wars, puis les univers des jeux de rôle (auxquels j’ai commencé à jouer à 8 ou 9 ans avec mon frère et Neriac, qui nous a rejoints des années plus tard sur les illustrations d’Ystari Games) : fantasy, Space op’, anticipation, horreur… C’est par exemple par les jeux de rôles que j’ai découvert Lovecraft, que je traduis et illustre aujourd’hui. Dans l’ensemble, c’est un moteur très puissant que de retrouver les sujets qui nous passionnaient dans l’enfance. Nous jouions à Détective Conseil au milieu des années 80 (toujours avec Cyril et Neriac !), et c’est donc un plaisir et un honneur de pouvoir ressortir et illustrer ce même jeu aujourd’hui. De même, que c’était un plaisir et un honneur de participer il y a quelques années à une exposition collective en hommage à Frazetta à la Gallery Provocateur de Chicago, avec laquelle j’ai gardé des liens.

 

La culture s’acquiert par tout un tas de chemins détournés ; contrairement à ce que pensent certains, c’est un processus dynamique, plein de vie. Il y a plus de trente ans que nous jouons de la musique ensemble, mon frère et moi (là encore sous l’impulsion de mon père, qui est guitariste et avait dans notre jeunesse un groupe de rock qui tournait dans la région). Pratiquer différentes formes d’art ouvre l’horizon, et les arts que tu pratiques se nourrissent les uns les autres.

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Tree of corruption

 

En dehors de ça, bien sûr, j’apprends beaucoup pour mon métier, et à travers lui. Un illustrateur se doit de faire des recherches historiques. Il est toujours possible de s’éloigner de ses sources pour rendre la réalité plus poétique ou esthétique, mais j’estime qu’il vaut mieux le faire en connaissance de cause. Pour Mousquetaires du Roy et Détective Conseil, par exemple, j’ai fait de nombreuses recherches sur l’état des choses à ces époques. Pour la couverture de Shakespeare, j’ai ressorti mes vieilles images de Vermeer (même si Vermeer est né 16 ans après la mort de Shakespeare). Pour Council of Four, je suis retourné voir Van Eyck.

Mais bon, il ne faut pas oublier la lecture, c’est quand même la base à mon avis. Je pense d’ailleurs qu’il ne faut pas se cantonner à un seul style de littérature : après une cure de Céline, un passage par L’Illiade, puis la trilogie des mousquetaires de Dumas, les autobiographies de René Fonck et d’Ernst Udet (des pilotes de chasse de la Grande Guerre), je crois bien que je vais me relire Dune. Et bien entendu, j’ai toujours un peu partout des piles de livres historiques (en ce moment je suis sur l’héraldique et les uniformes napoléoniens), d’art, etc.

Bref, pour en revenir à l’art, il n’est pas très difficile de se cultiver en la matière quand on est fan d’histoire. Il faut aussi parfois se faire violence et étudier des styles qui ne te plaisent pas forcément a priori, ne serait-ce que pour leur intérêt dans l’histoire de l’art. Par exemple, avec le temps, j’en suis venu à m’intéresser à l’expressionnisme dont la technique généralement fruste me rebutait. Maintenant, j’aime beaucoup Lucian Freud. Artistiquement parlant, ma soif de savoir m’a aidé à prendre mes distances avec Frazetta. C’est une évolution qui se fait très naturellement, en regardant d’autres formes de peintures, d’autres sujets que l’Heroic Fantasy. J’ai par exemple découvert les réalistes russes, les préraphaélites, etc. J’aime beaucoup J. W. Waterhouse, Ilya Repine, John Singer Sargent… 

Dans la scène actuelle, je suis en admiration devant Nicolás Uribe, qui n’est d’ailleurs pas si loin de Lucian Freud. J’aime aussi énormément Rick Berry, Phil Hale et Ashley Wood, par exemple, qui ont réussi à s’extraire du carcan de l’illustration. Et puis Christopher Shy. J’adore !

 

Et pour terminer dans une veine plus surréaliste – même si la liste pourrait s’étendre sur des pages – comment ne pas évoquer Zdzislaw Beksinski, énorme artiste au destin tragique. Je m’arrête parce que les listes sont frustrantes, on voudrait toujours en rajouter !

 



6) Venons-en à ton frère justement.
La personne qui m'a conseillé de t'interviewer m'a dit que tu semblais manquer de confiance en toi, alors que Cyril en apparence en tout cas semble être tout l'inverse.
C'est l'une des raisons qui vous fait travailler ensemble ?


Mon frère et moi sommes complémentaires. Nous nous sommes construits comme ça ; j’ai développé le dessin, alors que lui a arrêté de le développer. Il était très au fait de la technologie ; elle ne m’intéressait pas. À l’école, il était bon dans toutes les matières, très bon en sciences ; moi j’étais littéraire, très moyen en maths. Même à la guitare on ne maîtrise pas les mêmes techniques !

Cette complémentarité, et le fait de savoir ce que sait faire l’autre, fait que nous travaillons particulièrement bien en binôme. C’est donc bien une question de confiance mutuelle, et de respect dans les capacités de chacun : il sait ce qu’il peut attendre de moi, qu’il peut me lâcher la bride et que le résultat sera d’autant mieux ; de mon côté, je sais que s’il veut une illustration plutôt qu’une autre, c’est pour de bonnes raisons. Si parfois ça gueule un peu, on finit toujours par se remettre au boulot. Il ne va pas arrêter d’être mon frère parce qu’on n’est pas d’accord sur la couleur d’une image (ce qui est d’ailleurs un mauvais exemple, car il me fait confiance sur ce genre de choix).

Dans ces conditions, on gagne en confiance en soi. Cela étant dit, je travaille désormais moins directement avec mon frère, et cet équilibre est un peu rompu.

 

Mais tu évoques ma confiance en moi. Est-ce que j’en manque en général ? Sans aucun doute. Mais il y a aussi une part de réalisme. D’objectivité. On m’a souvent demandé pourquoi je ne sortais pas d’artbook. La réponse est simple : outre le fait que ça ne se vendrait pas, je n’en vois pas l’intérêt. Un livre sur mes illustrations déjà publiées… ça ne me motive pas. Elles sont déjà sorties, elles ont fait ce qu’elles avaient à faire… et si je suis content (parfois très content) de quelques images, la plupart ne sont pour moi que des occasions manquées. Un rappel de toutes les frustrations d’une vie : « Si j’avais été plus travailleur », « Si je ne m’étais pas autant dispersé », « Si j’avais fait une école ». Etc, etc, etc. En gros, j’estime qu’elles sont indignes de l’artiste que j’aurais pu être. Quant aux meilleures d’entre elles, elles ne font que laisser entrevoir, laisser deviner cet artiste que je ne suis pas.


Alors justement, c’est sur ce genre de choses que repose la frustration qui sert de moteur à certains de mes travaux personnels. Mais ces toiles-là, personne n’a envie de les voir dans un artbook. En plus, je n’ai plus le temps de peindre pour progresser dans mon expression personnelle ! Je vais te paraître très dur avec moi-même, mais j’ai parfois le sentiment qu’il vaut mieux que le monde oublie ces images. 

7) Et si je te proposais justement de les montrer ici, dans cet entretien, ces toiles que personne n'a envie de voir dans un art book ?
Qu'aurais-tu envie de nous dire sur l'une ou plusieurs d'entre elles ?


Que je ne suis pas prêt à dévoiler les plus récentes, et que les anciennes, pour la plupart, ne sont plus d’actualité ! Bien entendu, je pourrais montrer certaines images que j’ai déjà montrées sur FB ou sur feu mon site… mais trouveraient-elles plus d’écho ici que là-bas ? Je ne sais pas.

"Je refuse de comprendre et d’accepter ce mode de pensée"

 

8) Tu disais être autodidacte mais tu donnes également des cours de phonologie.
Quel est ton rapport à l'enseignement, de celui qui donne et de celui qui reçoit ?


J’ai toujours eu une tendance naturelle à enseigner ce que je savais. J’adore ça, tout comme j'adore écouter et apprendre. Je ne dirais pas que je suis un bon professeur (ce serait de toute façon présomptueux), mais je suis patient et bienveillant. Malheureusement, dans mes enseignements, je me heurte souvent au « nouveau monde » qui rejette l’ancien (or presque tout ce que je sais et enseigne, que ce soit la phonologie, la linguistique plus générale ou l’art, repose sur des siècles d’histoire). Il y a une réaction, en particulier, qui me hérisse malgré toute ma patience, et que j’ai déjà vaguement évoquée dans une réponse précédente. Je vais te donner un exemple : un jour, j’explique les prononciations du « th » anglais, je donne des exemples correspondant à différents cas de figure, dont le mot thatch (chaume).

Devant l’air dubitatif des étudiants, je précise que thatch se retrouve dans le nom de Margaret Thatcher, sans doute plus utile. Nouvel air dubitatif ; je rappelle, incrédule, qui est la Dame de fer, et me dis étonné qu’ils ne connaissent pas, étant donné qu’ils étudient tous la civilisation britannique. Et là on me répond pour la première fois (mais pas la dernière) : « Oh, nous, ce qui s’est passé avant notre naissance, ça ne nous intéresse pas. Et puis il y a Internet pour se renseigner ». Je refuse de comprendre et d’accepter ce mode de pensée, quel que soit le domaine étudié.  

Il faut quand même reconnaître que l’enseignement universitaire ne colle plus trop à notre époque, aux attentes des étudiants du 21ème siècle. Je reste moi-même attaché à la tradition du savoir pour le savoir (encore une fois, si un sujet m’intéresse, je vais avoir tendance à le creuser autant que faire se pourra dans le peu de temps dont je dispose, et ce, uniquement parce que j’ai une soif inextinguible de connaissances), mais il faut avouer que les formations universitaires ne sont pas assez professionnalisantes.

Un exemple : la traduction telle qu’on l’enseigne à la fac est quasiment inutilisable dans le monde du travail. C’est normal : le prof doit corriger des dizaines de copies, et doit donc imposer un carcan aux étudiants et limiter leur créativité pour se faciliter le travail. C’est comme pour tout : si tu veux avoir de meilleurs résultats et des évaluations plus justes, il faut travailler en petits groupes, pas avec des classes de quarante élèves. En petit groupe, tu peux donner la parole à tout le monde. Tu peux écouter des propositions très différentes, tu as le temps d’y réfléchir, d’en discuter… alors qu’à quarante, il faut faire de l’abattage. Les effectifs changent tout. 

« Oh, nous, ce qui s’est passé avant notre naissance, ça ne nous intéresse pas ».
On t'a vraiment dit cela en enseignement supérieur ?!?


 


9) Naomi Klein dans La stratégie du choc explique comment Margaret Thatcher fait partie avec Pinochet, Reagan ou Bush notamment de ceux qui ont mis en place à outrance la doctrine ultra libérale de Milton Friedman en utilisant des chocs économiques, politiques, sociaux et mêmes climatiques.
Depuis les attentats de Charlie Hebdo, la France est rentrée dans un état d'urgence qui s'est depuis transformé par un changement dans la constitution.
Surveillance accrue des différentes oppositions (anarchiste, écologiste, extrême gauche...) voire même de journalistes, énormément de gens deviennent fiché S. 
Comment toi en tant qu'artiste analyses-tu ces changements actuels en France ?


Ces politiciens ont effectivement changé (défiguré ?) le monde et créé – ou en tout cas alimenté – le terreau dans lequel ont poussé les problèmes d’aujourd’hui. Je pense que mon avis d’artiste sur ces questions n’a pas d’importance particulière (voire aucune spécificité), mais comme tu me le demandes, je vais quand même te décrire le monde actuel tel que je le vois : En haut, les politiciens ineptes, acoquinés aux grands industriels et financiers qui sont désormais au pouvoir et possèdent les principaux médias et organes de presse qui endorment les foules, leur disent quoi penser, sur quels sujets se révolter, quelle couleur aimer cette année (histoire de leur faire refaire leur garde-robe, voire leur déco intérieure).

 

En bas, le peuple qui regarde, impuissant, le monde s’effondrer au pied des tours d’ivoire de ses Maîtres. Ceux d’en haut veulent garder le pouvoir, et la meilleure façon de garder le pouvoir, c’est de surveiller les gens. De rassembler des fichiers sur tout le monde en disant : « Nous allons vous observer pour votre bien ». Le terrorisme est bien réel, et c’est une horreur ; mais dans la science-fiction comme dans le monde réel, bien des sociétés ont profité de situations de ce genre pour museler leurs opposants. Sommes-nous dans ce cas de figure ? je n’en sais rien ; mais chaque jour on perçoit des signaux laissant entendre que les gens seraient prêts à vivre dans une société totalitaire en échange d’une promesse de sécurité.  

Le fait qu’il y ait eu par exemple des guerres mondiales ne doit pas nous empêcher de le dire : le monde d’aujourd’hui est une catastrophe. Il me fait penser au coyote des dessins-animés, qui court quelques instants au-dessus du vide et ne tombe qu’à partir du moment où il s’aperçoit qu’il a un précipice sous les pieds. J’ai l’impression que l’Homme en est déjà au stade où il court au-dessus du vide.

 

Alors bien sûr, il y a beaucoup de gens pour tirer le monde vers le haut, et dans tous les domaines ; mais il y a une constante dans toute l’histoire de l’humanité : il est plus facile de faire le mal que le bien. La partie est loin d’être égale. Un gars qui balance ses déchets n’importe où suffit à contrer les efforts de cinquante personnes dotées d’une conscience écologique. Un industriel qui ne respecte pas les règles (ou fait seulement semblant de les respecter) sabote les efforts de milliers de gens. 

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"A l'occasion de cette interview, j'ai repris une ancienne image inachevée qui est au croisement entre deux de mes séries : celle des anges déchus, sur la chute de l'Homme, et celle constituée de la Vierge à l'épée et de L'arbre de la corruption (cf. Illustrations de l'interview). L'aspect froid et léché et la composition centrale renforcent le côté allégorique  de l'image." 
 

Arnaud Demaegd pour Jeux Viens à Vous

10) L'association Adrastia ( http://adrastia.org ) explique que nous avons avons dépassé le seuil de non retour en terme de dégâts écologiques, Ludovox publiait il y a quelques jours un article sur la pollution engendrée par les jeux de société (réalisation, transport...) ainsi que les croisières ludiques proposées depuis peu.


10 A) Les efforts dont tu parlais, crois-tu que nous les faisons réellement ?
Ne balançons-nous pas nos déchets n'importe où que ce soit par le nucléaire voire simplement avec nos déchets quotidiens nos déchets que nous enfouissons ?


Je ne peux pas parler pour les autres particuliers, mais chez nous, nous avons essayé de diminuer la consommation de plastique et autres emballages. Nous ne prenons plus que des produits qui se compostent ou se recyclent. C’est assez efficace au niveau quantité de déchets (nous avons déjà quatre ou cinq fois moins de poubelles). Et puis nous regardons la provenance de ce que nous consommons. Nous essayons d’éviter les produits de certaines marques affiliées à des entreprises pratiquant la déforestation ou l’empoisonnement des producteurs et des consommateurs. C’est évidemment une goutte d’eau dans l’océan, mais avec des millions de gouttes d’eau, on fait un lac. Il n’en reste pas moins que certains industriels, ce n’est plus un secret, mentent ou finassent sur la provenance et le contenu de leurs produits.

 

Pour ce qui est des gouvernements (en particulier français ; on sait que d’autres pays font des efforts non négligeables) je suis à peu près sûr qu’ils font semblant de gérer le problème ; on enterre les déchets toxiques, on les envoie à l’étranger… Il y a plus d’effets d’annonce que d’effets concrets. Je ne sais pas où nous en sommes du point de vue des ampoules économiques, mais j’ai vu, il y a déjà quelques années, un reportage dans lequel on voyait un entrepôt où s’entassaient des millions d’ampoules usagées ; le gars de l’usine affirmait qu’on avait changé tout le parc d’ampoules, mais qu’on était peut-être allés un peu vite parce qu’on ne savait pas encore quoi faire des « cadavres ». On n’avait pas la technologie pour les recycler…



 

10 B) Toi qui a également des enfants, comment vois-tu la terre que nous allons leur laisser dans les 20 ou 30 prochaines années ?

Quand j’étais môme, on rêvait encore de l’an 2000… et il faut dire qu’il est beaucoup moins glamour que ce qu’on imaginait (ce qui n’est pas illogique). Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose du monde animal, par exemple. Quand on pense que c’est le résultat de 170 ans d’industrialisation seulement, on en déduit que dans vingt ans, les choses auront visiblement empiré. J’ai du mal, à vrai dire, à imaginer que les efforts paieront. Cela dit, j’espère encore une agréable surprise pour mes enfants. Mais l’état du monde me pose un problème artistique (et donc très égoïste) : j’ai toujours été meilleur sur les sujets sombres.

Des tas d’artistes se chargent bien mieux que moi d’alimenter les rêves des gens. Or, le monde est déjà bien sombre, pourquoi en rajouter ? Résultat : je ne peins plus, ou si je peins, je garde les résultats pour moi.      

 

11) Tu me parles de peindre, restons dans le domaine de l'art. Souhaiterais-tu nous parler de la musique et de ce qu'elle t'apporte ?

Ah, la musique !

J’ai commencé tôt, et elle m’a beaucoup apporté. J’ai d’abord fait de la guitare classique avec mon frère en CM1, et en 6ème, nous sommes passés au rock avec des reprises des Stones, des Beatles, puis de Deep Purple, Led Zep... Nous avons tout de suite formé un groupe qui, d’incarnation en incarnation, a duré plus de 30 ans ! J’y ai commencé guitariste, j’ai fini bassiste chanteur ! Nous avons arrêté le groupe, et c’est bien dommage. Mais de toute façon, je me lassais de jouer immuablement les mêmes reprises. Je voulais retourner à l’époque où on jouait des compos parce que, dans le fond, en musique comme ailleurs, ce qui m’intéresse, c’est de créer.

Dans ma vie, j’ai beaucoup plus travaillé la guitare et la basse que le dessin. C’est sans doute dommage, quand on y pense, puisque je n’en ai pas fait mon métier ! A une époque, je jouais plusieurs heures par jour, j’y passais tout le temps libre dont je disposais. La durée était variable, mais il m’arrivait de consacrer cinq heures à la guitare, à déchiffrer des morceaux, à répéter les phrases de guitare des centaines de fois…
D’une certaine manière, j’ai plus de technique à la guitare qu’en dessin !

Enfin, ces dernières années je joue presque exclusivement de la basse. J’y consacre moins de temps, bien sûr, mais je m’arrange pour jouer tous les jours. En trois ou quatre ans, j’ai fait des progrès énormes, ce qui fait du bien à mon âge puisque, fondamentalement, dans tout ce que je fais, je ne cherche qu’à progresser. Avant, je n’étais « qu’un guitariste » qui joue de la basse ; je pense que ce n’est plus le cas.

 

Quant à l’aspect création, j’ai plein de morceaux dans la tête. Je passe mon temps à noter des idées pour ne pas les oublier. Après… je les redécouvre sous forme écrite six mois plus tard ; soit l’idée reste bonne, soit elle a perdu tout son sel ! Je suis malheureusement assez peu doué pour la technologie (je paye mon manque d’intérêt pour la chose !), et il m’est difficile d’enregistrer des choses avec un bon son pour les faire écouter. Ce serait néanmoins l’un de mes projets. Quand j’y pense, aujourd’hui, ça me motive davantage que de faire une expo de peinture. Si je pouvais, je ne ferais que peindre et jouer de la musique ; mais en ce moment, la musique l’emporte sur la peinture.

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Mais bon, en dehors de l’aspect créatif, ce que j’aime dans la pratique d’un instrument, c’est quand même la discipline. J’aime jouer de la musique, mais j’aime aussi travailler l’instrument. Les gammes, les arpèges, les études, déchiffrer des morceaux, des phrases. Quand j’avais dix-sept ans, je bossais en boucles pendant des heures des plans nécessitant de grands écarts pour renforcer mes doigts. Ça faisait mal, mais je persistais. Aujourd’hui, ça ne fait plus mal, mais je travaille mes gammes au quotidien pour me maintenir. J’entends beaucoup de gens dire « moi, j’adore jouer de la guitare (ou de la basse), mais les gammes, ça me saoule ». Je comprends, mais pour moi, si tu n’aimes pas travailler l’instrument, c’est que tu n’aimes pas assez l’instrument lui-même. Pourquoi, si l’on « adore jouer », ne pas chercher à étendre ses possibilités ?

 

C’est pareil pour le dessin, la peinture. Le talent ne remplacera jamais vraiment les heures passées au chevalet. Dans une certaine mesure, le talent, c’est surtout la capacité à avoir envie de travailler la technique. J’ai lu un jour un commentaire sur un ami guitariste : « ah, comme j’aimerais avoir tes doigts ! »

Il n’y a pas de secret : pour « avoir des doigts », il faut bosser, bosser, bosser. Travailler la force, la précision, l’écart, la vitesse, l’endurance. On progresse plus vite à dix-sept ans qu’à quarante, c’est un fait ; donc il faut construire un socle technique solide quand on est jeune, puis garder l’envie de continuer de travailler quotidiennement pour se maintenir, en acceptant de ne plus progresser que par petites touches. Ce n’est pas grave, puisque le socle est là ; il est logique que les progrès soient plus rares et moins spectaculaires.

Bref, au final, la musique, comme le dessin, comble (ou pas !) mes envies de création et d’expression, mon goût pour la discipline et le travail de la technique, me permet d’avancer à mon rythme dans la quête de la maîtrise (une quête sans fin, bien sûr). La musique de groupe apporte la satisfaction de construire quelque chose à plusieurs en temps réel (en termes de jeux vidéo, la musique serait un peu comme du STR ; l’illustration, du tour par tour).

 

Et l’adrénaline ! Tu dois sortir d’une bonne répétition physiquement fatigué, et moralement boosté ! Enfin, le fait de jouer en public est un plaisir auquel on a rarement accès dans l’illustration. 


 


12) Pourrais-tu nous parler de deux personnes du monde ludique, l'une pour ses qualités professionnelles, et l'autre pour ses qualités humaines, l'un l'enlevant rien à l'autre et vice versa ?

Je pourrais rester trois ans à réfléchir à cette question (comme aux autres, tu t’en es sans doute aperçu !) : en quinze ans d’activité dans le monde ludique, j’ai rencontré des centaines de personnes formidables. J’y ai des copains, des amis, des collègues, et même de la famille… des gens à qui je rends service et qui me rendraient service si je leur demandais quelque chose.

Histoire de ne pas faire de jaloux, ni d’entrer dans des considérations sans fin, je vais choisir quelqu’un dont je n’ai fait la connaissance que récemment : Sébastien Célerin, de Bragelonne. Et ce sera à la fois pour ses qualités professionnelles et pour ses qualités humaines. Professionnellement parlant, il est efficace, flexible, connaisseur et fin analyste. Humainement, il est respectueux, prévenant… Je pourrais continuer, mais je n’irai pas plus loin pour ne pas froisser sa modestie !  

 

13 ) Pourrais-tu nous parler d'un auteur ou d'une œuvre importante à tes yeux, que ce soit en littérature, théâtre, cinéma, jeu etc... que tu souhaiterais faire découvrir ou redécouvrir à mes lecteurs ? 
 

Là aussi, j’aimerais te dresser une liste plutôt que de « choisir » ! Allez, je vais jouer le jeu à moitié, et te donner une poignée d’œuvres qui m’ont marqué. En matière de théâtre, j’aime beaucoup Oscar Wilde et Tennessee Williams pour des raisons très différentes. J’adore particulièrement Sweet Bird of Youth, de Williams, pour tout ce qu’il signifie, et Lady Windermere’s Fan, de Wilde, pour le plaisir orgiastique que l’auteur a à jouer avec les bons mots, dans le plus pur style dandy.

Dans le domaine du roman, la trilogie des Trois mousquetaires, qui m’a passionné de bout en bout. Pour le vingtième siècle, Céline. Et puisqu’il faut bien faire court, je vais finir sur L’Iliade. C’est un peu l’alpha et l’oméga. En matière de récits épiques tout pâlit à côté (à mes yeux en tout cas). L’invocation de la muse m’a littéralement happé, et je n’ai plus lâché le livre ensuite : « Chante, Déesse, la colère d’Achille, fils de Pélée, colère funeste qui plongea les Grecs dans un abîme de douleur, précipita aux Enfers l’âme courageuse de maints héros et livra leur corps aux chiens et aux vautours »… ou quelque chose comme ça !!! 

L’Illiade, Les trois mousquetaires, Voyage au bout de la nuit (entre autres romans de Céline)… autant de livres que je ne peux m’empêcher d’ouvrir pour en relire un extrait quand je passe devant ma bibliothèque.
Tout le monde connaît ces titres, mais peu de gens les ont lus, au final. C’est dommage. 

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"En travaillant dans le jeu, j'ai réalisé le rêve d'un autre." 

 

14) Le jour où tu devras quitter le monde du jeu, d’une manière ou d’une autre, que souhaiterais-tu que l’on retienne de toi professionnellement mais surtout humainement ?

Je ne crois pas vraiment que l'on retiendra quoi que ce soit de moi. Non seulement je suis trop discret pour ça, mais je suis noyé dans la masse. D'ailleurs, de manière plus générale, je crains qu'à long terme, il ne reste rien, artistiquement, de cette période. J'espère me tromper bien sûr, mais je n'y crois pas trop : la surabondance de tout ravale les œuvres au rang de produit jetable.

 

Enfin, pour ne pas répondre à côté, je dirai que j'ai essayé de travailler aussi bien que possible ; j'ai toujours essayé de donner le maximum, même quand je n'avais pas envie ou que ça ne sortait pas. Et je n'ai pas suivi les modes. Jamais. Les modes passent. Et dans l'ensemble, elles ne me plaisent pas ou m'indiffèrent. J'aimerais parfois avoir plus de visibilité, de succès... mais au fond, pour quoi faire ?

 

En travaillant dans le jeu, j'ai réalisé le rêve d'un autre. Je ne déteste pas ça, hein ! mais si je n'y laisse aucune trace, ce ne sera pas bien grave non plus. 



L'autre, c'est Cyril ? Tu n'as jamais eu l'envie de travailler pour quelqu'un d'autre justement ?

L'autre ? Non, c'est moi ! Moi jeune, qui aimais les illustrateurs et rêvais d'en devenir un. Puis plus tard, quand j'ai enfin accepté le fait d'être illustrateur de jeux. C'est à ce moment-là que j'ai progressé, que mes images ont commencé à plaire. Sans doute me suis-je dit alors que c'était un peu accomplir mon rêve ; mais je n’ai plus les mêmes rêves aujourd’hui… et je ne connais personne qui puisse m’aider à les accomplir, parce que ça ne dépend que de moi.  

"Dans ce monde, on fait trop de choses pour les monnayer." 



15) Arnaud, c'est malheureusement la fin de cet entretien. En prenant en compte ta vie professionnelle et personnelle es-tu heureux ? 

Oui... Non... Difficile de répondre.

Je ne suis pas malheureux, en tout cas !

 

Insatisfait, oui (sur le plan professionnel s'entend !), mais pas malheureux. Ou juste malheureux ponctuellement. Quand je ne suis pas à la hauteur de mes espérances ; quand je ne trouve pas la solution à un problème technique. Enfin, même ponctuellement, je suis plus en colère que malheureux, mais je le répète : plutôt en colère après moi-même. 

L'état du monde me désespère. Mon incapacité à faire quelque chose de marquant pour lui. J'ai une haute vision de l'art, et je ne suis pas le seul, mais l'art (en dehors du cinéma et de la musique "de masse") a une portée anecdotique dans ce monde. En tout cas, plus anecdotique que le foot. 

En ce moment, entre deux boulots, j'écris un concerto. Pour la beauté du geste. Au lieu de le composer sur l’instrument et de l'enregistrer comme je le ferais d'un morceau de rock ou de pop, je l'écris sur partition, une note après l'autre. Étant donné mon background musical, je n'ai jamais été très porté sur le solfège... alors j'apprends. Pour le plaisir d'apprendre. De savoir. Pour la beauté du geste. Dans ce monde, on fait trop de choses pour les monnayer.

Je suis heureux quand je progresse. Quand j'apprends de nouvelles choses. Sans désir de les monnayer, ni même de les montrer ou de les faire écouter au monde entier. Juste à quelques personnes choisies. Peut-être que ces choses que je garde pour moi sortiront un jour, si j'y suis prêt... mais dans l'ensemble, elles existent pour moi, et un peu pour ces quelques autres.

 

Et dans le fond, c'est peut-être suffisant ! 

Arnaud, merci pour ta sincérité et le temps pris

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Saison 1

Yves Hirschfeld
Benoit Forget
Bruno Faidutti 1ère partie
Bruno Faidutti 2ème partie
Naiade
François Haffner 1ère partie
François Haffner 2ème partie
Pierô Lalune
Timothée Leroy
Mathilde Spriet
Sébastien Pauchon
Tom Vuarchex
Vincent Dutrait 1ère partie
Vincent Dutrait 2ème partie
Christophe Boelinger 1 ère partie 
Christophe Boelinger 2ème partie
Régis Bonnessée
Roberto Fraga 1ère partie
Roberto Fraga 2 ème partie
Cyril Demaedg
Bruno Cathala 1 ère partie
Cyril Blondel
Bruno Cathala 2ème partie
Yahndrev 1ère partie
Yahndrev 2ème partie
Emilie Thomas
Sebastien Dujardin
Florian Corroyer
Alexandre Droit
Docteur Mops 1ère partie
Docteur Mops 2ème partie
Arnaud Urbon
Croc
Martin Vidberg
Florent Toscano
Guillaume Chifoumi
Nicolas Soubies
Juan Rodriguez 1ère partie
Juan Rodriguez 2ème partie
Bony
Yannick Robert
Docteur Philippe Proux
Franck Dion 1ère partie
Franck Dion 2ème partie
Franck Dion 3ème partie
Yoann Laurent
Carine Hinder et Jerôme Pélissier
Dominique Ehrhard
Christian Martinez
Maxime Savariaud
Véronique Claude
Shadi Torbey


  

Saison 2 
 

Fabien Bleuze
Serge Laget
Djib 1ère partie
Djib 2me partie
Florian Sirieix
Farid Ben Salem 1 ère partie
Farid Ben Salem 2ème partie
Julien Lamouche
Jean-Louis Roubira 1ère partie
Jean-Louis Roubira 2ème partie
Philippe des Pallières 1ère partie
Philippe des Pallières 2ème partie
Julian Malgat Tome 1
Philippe Tapimoket 1ère partie
Philippe Tapimoket 2ème partie
Théo Rivière
Reixou
Nicolas Bourgoin
Natacha Deshayes
Gary Kim 
Emmanuel Beltrando
Tony Rochon

Thierry Saeys
Lia Sabine
Igor Polouchine 1ère partie
Igor Polouchine 2ème partie
Bernard Tavitian
Marcus 1ère partie
Marcus 2ème partie
Gaetan Beaujannot
Jean-Michel Urien
Michel Lalet 1ère partie
Michel Lalet 2 ème partie
Michel Lalet 3ème partie
Christophe Raimbault
Gaelle Larvor / Nam-Gwang Kim
Stefan Feld


Saison 3

Catherine Watine
Jean-François Feith
Nadine Seul 1ère partie
Nadine Seul 2 ème partie
Guillaume Lemery 1 ère partie
Guillaume Lemery 2 è me partie
Jérémie Fleury Tome 1
Aurore Matthey
Richard Garfield
Rémi Amy
Eric Jumel
Hadi Barkat
Roméo Hennion
Clément Leclercq
Blaise Muller
Claude Leroy 1ère partie
Claude Leroy 2 ème partie
Marie Cardouat 1ère partie
Marie Cardouat 2ème partie
Gabriel Nassif 1 ère partie
Gabriel Nassif 2 ème partie 
Grégoire Sivan


Saison 4 

Julien Sentis
Bertrand Arpino 1 ère partie
Bertrand Arpino 2 ème partie
Olivier Ruel 1 ère partie
Olivier 2 ème partie
Léonidas Vesperini 1 ère partie

Léonidas Vesperini 2 ème partie

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