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Jeux Viens à Vous Régis Bonnessée
Cette semaine je m'entretiens avec Régis Bonnessée, auteur de quelques jeux (Himalaya, Seasons...), mais surtout depuis 8 ans éditeur avec Libellud.
Un entretien plus court que les 2 derniers, où Régis nous parle du rôle d'entrepreneur, des nouvelles technologies, de Seasons, Colons de catane, et d'une anecdote de festival très drôle.
1) Régis Bonnessée auriez-vous la gentillesse de vous présenter ?
J’ai actuellement 37 ans et cela fait désormais presque 8 ans que j’ai fondé la maison d’édition Libellud. Maison qui édite notamment Dixit, Seasons, Mysterium ou bien encore Loony Quest. Originaire de la ville de Parthenay, la ville du FLIP, j’ai depuis tout petit baigné dans l’univers du jeu. Quand j’étais encore ado j’ai même été à l’initiative de la fondation d’un club de jeux de rôle et de simulation. On pouvait ainsi se réunir entre amis et partager notre passion. Et puis au fil du temps j’en suis arrivé à m’intéresser aux mécaniques de jeux . C’est tout naturellement ensuite que je me suis mis à créer mes propres jeux. Le premier, Colony, était un 4X qui se déroulait dans l’espace. Puis j’ai enchainé avec Marchands d’Empire qui est devenu Himalaya chez les éditions Tilsit et qui à l’époque avait été nominé au fameux Spiel des Jahres, prix qui ne me parlait pas vraiment à l’époque...
Mais au-delà de la facette auteur de jeu je me définirais plutôt comme un curieux touche à touche, un grand enfant soucieux de s’évader dans toutes sortes d’univers.
"Le jeu va être reconnu comme un véritable objet culturel"
2) Justement, comment définiriez-vous le jeu et plus particulièrement le jeu de société ?
Un vecteur de lien social ? Un objet d’amusement ? Votre métier avant tout maintenant ?
Dans un monde où le lien social a tendance à se déliter, le jeu de société est un des rares médias ou les gens peuvent véritablement partager tous ensemble. A contrario du cinéma ou de la lecture ou les échanges ne peuvent se faire qu’à posteriori. Certes l’amusement est intimement corrélé au jeu, mais j’utiliserais plus pour ma part la notion de plaisir parce qu’elle me semble moins infantilisante. De ce que j’entraperçois de l’avenir le jeu va gagner peu à peu ses lettres de noblesse et être reconnu dans quelques décennies comme un véritable objet culturel. Mais les mentalités ont toujours besoin de temps pour évoluer, donc cela ne me chagrine pas plus que ça que ce ne soit pas encore le cas. Quant au fait que cela soit aujourd’hui mon métier c’est un fait, même si cela ne m’empêche pas de continuer toujours et encore à explorer d'autres domaines.
3) Souhaitez-vous nous parler de ces autres domaines ?
Je peux vous parler du jeu vidéo que je pratique avec assiduité depuis le plus jeune âge-là aussi et qui explique la création toute récente de Libellud Digital. Le but de cette nouvelle entité est de développer un projet assez ambitieux de jeu vidéo sur 3 ans. L’équipe est presque en place et cela sonne pour moi le début d’une nouvelle aventure collective. Tout ce que nous sommes se construit dès l’enfance parait-il. De mon côté je ne peux qu’adhérer à cet adage. Comme si ma vie n’avait de sens que la concrétisation de ce qui me faisait rêver étant gosse. Après il y a encore bien d’autres domaines dans lesquels j’aimerais tenter une excursion, mais chaque chose en son temps et si la vie, les rencontres et le temps me le permettent.
Remise de l'As d'or en compagnie de Marie Cardouat et Jean Louis Roubira. Dixit, ce par quoi tout a commencé
4) On oppose souvent le jeu de société et le jeu vidéo, sont-t-ils si éloignés pour vous ? Comment faites-vous la liaison entre les deux ?
Pensez-vous que le mélange des deux genres (type le monde de Yo-ho) est inévitable dans l’avenir ?
Je ne vois rien qui les oppose. D’ailleurs plus généralement nous vivons dans un monde ou de plus en plus de domaines sont interconnectés. Désormais un univers, quel qu’il soit, peut très bien exister en jeu de société, en jeu vidéo, en film ou en série. Les passerelles existent et je dirais même que c’est le futur. Il suffit aussi de voir des adaptations à succès comme Ticket to ride ou bien encore Splendor sur un support numérique pour s’en rendre compte.
Pour ce qui est du mélange des genres j’y suis moins sensible. Pour la simple et bonne raison que je pense qu’un jeu que l’on achète dans le commerce doit pouvoir proposer à lui seul une expérience de jeu pleine et entière. Et ce sans pré requis extérieurs.
5) Vous avez reçu le 2ème prix national "Envie d'agir" (Catégorie entrepreneuriat social), pouvez nous en dire plus sur ce prix que vous avez reçu et ce qui vous a menez à crée Libellud, ainsi que les difficultés par lesquelles vous êtes passées?
Que représente pour vous le fait d'entreprendre et le monde de l’entreprise?
Défi Jeunes (qui fait partie d’Envie d’Agir) est un dispositif accessible aux jeunes entre 18 et 30 ans qui ont envie de devenir actifs. Le Haut Commissariat à la Jeunesse propose une aide pédagogique, technique et financière pour mettre en œuvre un projet, qu’il soit à but commercial ou non. J’ai pu obtenir une bourse de 8000€ en régional. Puis mon dossier a été sélectionné au national ou j’ai pu obtenir une autre bourse de 8000€. C’était pour moi vraiment un défi que de me lancer dans l’entreprenariat vu que je n’y connaissais pas grand chose. Mon précédent poste, durant 10 ans était dans la fonction publique territoriale ou j’étais mis à disposition dans une association à vocation culturelle. C’est pour vous dire le fossé qu’il y avait entre les deux mondes. La création de “Libellud” m’a pris deux années ou j’ai dû mener de front la recherche de financement, le développement du projet et bien sur mon travail. Il y a eu pleins de belles rencontres et aussi beaucoup de moments de doutes durant cette période. Mais avec le recul c’est aussi eux m’ont permis de murir plus amplement le projet et de lui donner très certainement ce petit supplément d’âme.
Nous nous mettons à nous tutoyer.
6) Tu as créé Seasons, un grand succès, avec plusieurs extensions maintenant, un très bon jeu inspiré, j’imagine, en partie de Magic the gathering. Tout d’abord est-ce bien le cas ? Et si oui, que souhaites-tu nous dire sur ce dernier, qui est détesté par les uns et adulé par les autres?
En effet j’ai été un grand joueur de Magic de par le passé. Depuis la genèse du jeu jusqu’à l’extension Mirage si ma mémoire est bonne. Je faisais beaucoup de compétition à l’époque. Et puis mes priorités de vie ont un peu évolué et je me suis détourné du jeu.
Pour en revenir à la naissance de Seasons je voulais à la base faire un jeu cyclique. J’entends par là un jeu où les différentes ressources n’étaient pas accessibles au même moment, un jeu ou les joueurs devaient s’adapter à cette fluctuation. Très vite m’est venue l’idée des saisons, des dés et des ressources plus ou moins rares selon la période. Ce n’est qu’ensuite que j’ai pensé à greffer au jeu un mécanisme de cartes, mais ce n’était pas le postulat initial. C’est un jeu en tout cas dont je suis très fier, un jeu dont j’ai disputé des centaines et des centaines de parties et auquel je reviens toujours avec plaisir. Je ne renie rien aujourd’hui et si c’était à refaire je le referais avec autant de plaisir et d’enthousiasme. Et malgré le fait que le jeu s’adresse à un public assez core cela ne l’a pas empêché de dépasser les 100 000 boites vendues et d’être le premier jeu joué sur Board Game Arena.
Seasons, un jeu au succès planétaire
7) Quel jeu faisait rêver Régis enfant ? Quel(s) jeu(x) de société a créé le déclic chez toi?
Sans aucune hésitation c'est Colons de Catane qui a été la grande révélation pour moi. Je ne compte plus les parties que j'ai pu jouer à l'époque. Et bien sur il y a eu la grande influence du jeu de rôle que j'ai pratiqué durant toute mon adolescence, Warhammer en première ligne.
"Combien de jeux aujourd’hui encore arrivent à mélanger avec autant de succès autant d’ingrédients ?"
8) Pour Colons de Catane justement, ce jeu tant décrié par les joueurs "core", que peux tu nous dire sur ses qualités justement? Et comment il t'a influencé dans ta façon de créer?
Les gens ne se rendent pas forcément compte de l'impact de ce jeu au milieu des années 90', de la claque que nous avons reçu à l'époque
Il faut bien entendu remettre les choses dans leur contexte. C’est comme si aujourd’hui on jugeait les films de Fritz Lang à la lueur des productions actuelles. Cela n’aurait aucun sens. Catane a réellement permis de démocratiser le jeu de société moderne. Il y a eu un avant et un après. Il faut se rendre compte que dans un jeu de 45 minutes, il y avait de la simultanéité, donc pas de temps mort, des micro choix à effectuer tout le temps pour le côté stratégique, de l’échange pour le côté social et de la chance pour le côté tension. Combien de jeux aujourd’hui encore arrivent à mélanger avec autant de succès autant d’ingrédients ? En termes d’influence, c’est très compliqué de répondre. Il m’a surement influencé aux mêmes titres que d’autres jeux, ne serait-ce que de manière inconsciente. Et puis tout comme dans les livres il existe une filiation littéraire il existe dans le jeu une filiation ludique, qu’on le veuille ou non.
9) Qu’est-ce que cela représente concrètement pour toi d’être dirigeant d’une entreprise d’édition ?
Les gens pensent souvent qu’un patron gagne extrêmement bien sa vie alors que la majorité des patrons est au smic, sans compter leurs heures de travail. Tu as des employés, des responsabilités, c’est un stress que tu aimes ? Comment te vois-tu dans 5/10/20 ans ?
Etre dirigeant pour moi c’est avant tout créer une aventure humaine autour d’un projet fédérateur. Du moins c’est ce que j’essaye d’impulser au sein de Libellud. Quant à l’argent pour moi c’est plus un moteur pour créer de nouveaux projets qu’autre chose. C’est dans cette logique qu’est né il y a quelques mois Libellud Digital dans le but de faire du jeu vidéo. Alors oui parfois il y a du stress à gérer ou des décisions à prendre qui ne sont pas toujours facile. Mais pour rien au monde je n’échangerais ce que je suis aujourd’hui. Quant à l’avenir tout dépendra des rencontres que je ferais dans les 20 prochaines années. Ce sont elles qui m’ont toujours porté et guidé et il n’y a pas de raisons que cela change.
"C’est vraiment une personne qui a le cœur sur la main"
10) A propos de rencontres, pourrais-tu nous parler de 2 personnes du monde du jeu qui t’ont marqué, l’une pour ses qualités professionnelles, et l’autre pour ses qualités humaines, l’un n’enlevant rien à l’autre et vice versa.
Pour ce qui est du côté professionnel j’aime beaucoup ce que fait Philippe Nouhra de Funforge en termes de direction artistique. C’est vraiment du chouette boulot, frais et inspiré.
Pour ce qui est des qualités humaines je me vois obligé de cité Jean-Louis Roubira, l’auteur de Dixit et aussi un grand ami. C’est vraiment une personne hors norme à tous les niveaux mais cela va paraitre comme une réponse très corporate ;)
Alors si je vais chercher un peu plus loin je citerai Bruno Faidutti. C’est quelqu’un qui a fait énormément pour le milieu du jeu en France. Peut-être que certaines de ses interventions ont pu donner l’impression de quelqu’un de clivant mais quand on le connait un peu mieux c’est vraiment une personne qui a le cœur sur la main. Il suffit pour en prendre conscience de voir le nombre de fois où il a poussé le jeu d’un jeune auteur inconnu de façon purement altruiste, juste parce qu’il avait aimé le jeu...
11) Aurais tu une anecdote marquante (drôle ou pas) de la rencontre avec un joueur, sur un festival ou ailleurs, un joueur bizarre, une rencontre émouvante, une forte amitié ?
Ce n’est pas évident comme question car la plupart des rencontres sur un festival sont riches humainement parlant. Du coup je vais plutôt parler d’une anecdote qui m’a particulièrement marqué. C’était sur le FLIP il y a quelques années. Bugs & Co venait de sortir et participait au traditionnel concours du festival dans la catégorie famille. J’étais sur notre stand et une personne avec qui j’avais pu échanger à de nombreuses reprises auparavant vient me trouver. Il me demande où il peut voter pour Bugs & Co. Je lui indique l’espace dédié tout sourire. Il me questionne sur le pourquoi du comment de la création. S’en suit un court échange sur le sujet. Puis au moment de partir, il me lâche d’un ton sec et lapidaire quelque chose du genre : « j’ai vraiment trouvé ça nullissime comme jeu faut absolument que je lui mettre une sale note. » Pendant ce temps moi je le regarde partir, un peu désemparé, lâchant un vague « heu…oui ». C’était je crois mon moment le plus « What the fuck »de ma carrière d’éditeur.
Régis en compagnie de François Haffner et de Matthieu d'Epenoux : "Regarde Régis, Matthieu n'a même pas eu son entretien Jeux Viens à Vous!"
12) Nous ne nous connaissons pas ou peu, une soirée chez moi, quels jeux me proposez-vous dans le but d’apprendre à se connaitre et pourquoi ? Nous avons le temps d’en faire 3
Ou bien préférez-vous faire des canulars téléphoniques un verre de Saint Veran à la main ?
Trois jeux pour apprendre à se connaitre ? Alors encore une fois je vais paraitre quelque peu corporate mais je proposerais un Dixit qui reste selon moi une des meilleures façon de briser la glace dans une soirée. Pour le reste allons-y pour un Esquissé qui revisite à la perfection le principe du téléphone arable. Pas de temps mort, des fou rires, bref un jeu intelligent. Et avant de partir se coucher un petit Loup Garou au coin du feu. Parce que ce jeu reste l’un des meilleurs pour se créer des souvenir collectifs.
13) En regardant la liste des jeux de Jeux viens à vous, quel jeu manque t-il forcément à cette liste selon vous?
http://manuvotreserviteur.wixsite.com/jeuxviensavous/jeux-
Comme ça il me vient à l’esprit Les Aventuriers du Rail qui reste excellent jeu passerelle. Et malgré son âge il n’a pas pris une ride. Les règles sont simples à assimiler, le jeu est fédérateur et profond et qui plus est, il est superbement édité. Bref il a tout ce qu’il faut pour intégrer n’importe quelle ludothèque.
Dans un registre plus léger je mettrais aussi Perudo. Un jeu malin et retord qui peut très bien se passer de Vodka pour être fun ;)
14) Souhaiterais-tu nous parler d’une œuvre (Littérature, musique, jeu, cinéma…) ou d’un auteur connu ou méconnu que tu pourrais nous faire découvrir ou redécouvrir ?
Il y a un auteur en effet que j’aimerais évoquer, à savoir Osamu Tezuka. Qualifié de « père du manga », mon premier contact avec lui remonte à l’adolescence ou comme tout jeune garçon de l’époque je regardais les épisodes de Astro le Petit Robot. Jusque-là rien d’extraordinaire puisque la série ne me marqua pas nécessairement plus qu’une autre. Et puis quelques années plus tard je découvris sur les conseils de mon libraire « Bouddha », du même auteur. En 8 volumes, Osamu Tezuka nous raconte sa vision romancée de la vie de Siddhartha, le Bouddha original. Une œuvre vivante, faussement naïve et profondément humaine qui marqua pour sur une étape de ma vie. A découvrir pour ceux qui assimilent encore trop souvent le manga au Shonen, un style avant tout destiné aux adolescents comme Naruto et plus récemment One Piece.
15) Le jour où tu quitteras le monde du jeu, d’une manière ou d’une autre, que souhaiterais-tu que l’on retienne de toi en tant que professionnel mais également en tant qu’homme ?
La vie est pour moi un formidable laboratoire d’alchimie alors un simple « il a tenté des trucs… » me satisferait pleinement
16) C’est malheureusement la fin de cette entretien et voici donc la dernière question, Régis en prenant en compte ta vie professionnelle mais également ta vie privée, dirais-tu que tu quelqu’un d’heureux ?
Oui très sincèrement.
Merci pour l’interview ;)
Je te remercie Régis pour ta gentillesse.
La semaine prochaine je m'entretiendrais avec un pirate espagnol!