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d'événements ludiques
Jeux Viens à Vous Olivier Ruel
1 ère partie
J'ai rencontré Olivier Ruel à Ostelen fin des années 90.
Avec son frère, Antoine, il écumait avec leur bonne humeur et leur sympathie les tournois de Magic the gathering.
Tellement qu'ils sont devenus tous les deux professionnels du jeu. Allant de Grand Prix en Pro tour, ils ont réussi à faire de leur passion un métier certes éphémère mais qui leur à permis des légendes dans le monde de Magic.
Olivier nous raconte dans cette première partie, sa découverte de Magic, ses premiers pas à Ostelen, sa professionnalisation dans le monde de Magic et du Poker, mais également sa relation particulière avec son frère qui l'a poussé à devenir l'un des meilleurs de tous les temps.
1) Olivier Ruel, bonjour, aurais-tu la gentillesse de te présenter ?
Mais fort volontiers !
Bonjour donc, je m'appelle Olivier Ruel-Mailfert (depuis mon mariage l'an dernier).
Je joue à Magic depuis 1994 et j'ai eu la chance d'en vivre professionnellement pendant une dizaine d'années. Depuis, j'ai essentiellement bossé en restauration avant d'être usé par ce milieu. Aujourd'hui je suis vendeur dans une Biocoop et j'ai repris des études pour devenir thérapeute en approche centrée sur la personne.
Si je ne fais plus beaucoup de tournois, je continue à jouer régulièrement online. Les tournois pro, par contre, ne me manquent pas plus que ça. Le goût de la compet' m'a manqué dans un premier temps mais je l'ai comblé avec le poker et la course à pied avant de le perdre progressivement. Aujourd'hui la co-construction m'intéresse davantage que la compétition.
2) Que signifie le jeu pour toi ? Le fait de jouer mais également peut-être le fait de donner à jouer comme tu le faisais en tant que joueur professionnel ?
Je crois que j'ai toujours eu un rapport très fort au jeu, de manière générale. Mon frère (Antoine, également ancien pro de Magic) et moi avons deux parents très joueurs. Une mère qui nous abandonnait régulièrement le soir et le week-end pour faire des compets de bridge, et un père avec qui le gros des activités consistait à jouer (tarot, le mythique Footmania et Olympic Gold sur Master System pour ne citer que les plus marquants).
Plus tard, quand on a commencé les tournois de Magic puis quand on a réalisé qu'on se débrouillait plutôt bien et qu'il y avait sans doute moyen d'en faire davantage qu'une passion, ils n'ont jamais cherché à nous en dissuader. Quand bien même on a pas mal négligé nos études (enfin surtout moi).
Plus globalement, je crois que ce contexte familial a été un terreau fertile au développement d'un état d'esprit, de l'idée que la vie en elle-même est un jeu. Qu'on y traverse un paquet de frustrations et de déceptions, mais qu'elle est en même temps une source perpétuelle de découverte et d'émerveillement à condition de ne pas trop la prendre au sérieux.
Pour ce qui est de l'aspect professionnel, c'est un peu différent. J'ai toujours pris un pied énorme dans les tournois, mais ça a créé pendant un temps une forme de déséquilibre chez moi. Dans ma vie de tous les jours j'étais ce gars un peu renfermé, peu de confiance en soi, vie sociale pas très développée. Et à Magic j'étais ce gars sympa, affable, reconnu et apprécié dans un milieu dont l'opinion importait énormément. J'étais comme un poisson dans l'eau, et plus j'acquérais de résultats et de reconnaissance, moins la vie que je me construisais dans l'univers des tournois (j'étais en voyage pour les compets 3 à 4 mois par an) me poussait à faire des efforts pour développer mon bien-être à la maison.
J'ai ainsi vécu pendant 2-3 ans la période de mes meilleurs perfs de façon un peu schizophrène. Et puis finalement, petit à petit, la confiance en moi accumulée par Magic a commencé à se diffuser dans d'autres aspects de ma vie, jusqu'à trouver un équilibre au moment où mes résultats ont commencé à être moins bons. Je ne saurais dire à quel point les deux événements sont corrélés, mais j'ai commencé à moins perfer alors que mon niveau de jeu et d'investissement étaient sensiblement les mêmes. Par contre, mon besoin de gagner était moindre et c'est là une différence énorme.
"J'invoque Grand serpent de mer"
3) Raconte-nous justement comment tu as découvert Magic, et ce que ce jeu a crée chez toi comme sentiments.
Pour ceux qui ne connaissent pas ce jeu ou simplement que de nom, voire pour ceux qui ne l'aiment pas pour différentes raisons sur lesquelles nous pourrons revenir par la suite, peux-tu nous expliquer ce qui t'a fasciné dans ce jeu ?
A la base, ce sont mon frère (parti à Cleveland pendant l'été) et mon meilleur ami qui, rentrant de vacances, m'annoncent tours les deux y avoir découvert un jeu génial.
J'ai beau être vite intéressé, je ne pige pas grand chose à toutes ces histoires de "mana" ou "phase d'entretien", mais ce n'est pas le plus important. L'aspect stratégique du jeu attendra. Dans un premier temps, ce qui me séduit, c'est l'univers. "Invoquer des créatures", déjà, ça claque. Bon, je ne sais pas alors que 3 mois plus tard je n'utiliserai plus jamais ce terme de ma vie, mais c'est quand même classe. "J'invoque Grand serpent de mer", pour moi qui en terme de jeu passait surtout du temps sur ma Super Nes, c'était une petite révolution. Puis j'ai toujours été branché collecs panini (j'ai refait un album de foot il y a quelques années avec un vrai plaisir d'enfant), et j'ai trouvé dans Magic ce côté-là, mais en mieux. Ouvrir un booster, c'était ouvrir un paquets d'images d'un genre complètement différent avec, en plus, un système de rareté qui conférait au booster quelque chose de mystérieux et de très attrayant.
Et puis après un an d'attaques à l'Horreur Cosmique et au Léviathan (pour ceux qui ne connaissent pas, deux cartes injouables car beaucoup trop lentes mais possédant un énorme rapport Force/Endurance qui les rendent attractives chez les débutants), mon frère et moi avons disputé quelques parties avec un type qui habitait dans notre immeuble, à Aubervilliers et qui avait déjà participé à quelques tournois. Il nous a, en une heure de branlées, ouvert un tout nouveau monde. Les gros monstres c'était mignon, mais ce qui gagnait vraiment, à Magic, ce n'était pas la force brute, mais la synergie entre les cartes, la mana équilibrée, etc.
Magic est un jeu qui a des défauts, les problèmes de mana et l'absence d'intérêt de certaines parties qui en résultent notamment, mais le jeu en tire aussi une partie de son charme. Le facteur aléatoire, s'il ne saurait être réduit à zéro, peut être limité avec une bonne construction du jeu. Des cartes en apparence faibles, si elles sont synergiques entre elles, peuvent devenir redoutables. C'est aussi ce qui fait la beauté de ce jeu. Plus globalement, Magic a les défauts de ses qualités et inversement. Les problèmes de mana? Il faut mieux construire son jeu. L'obligation d'acheter de nouvelles cartes régulièrement? Le jeu se renouvelle perpétuellement.
Mais globalement, ce qui me fascine vraiment dans ce jeu, c'est sa profondeur. En construit (les tournois où l'on vient avec son propre jeu), l'apparition d'une carte moyenne peut changer la face d'un metagame (ensemble des archétypes joués dans un format donné). En draft (tournois où l'on construit son jeu à partir de boosters scellés) il peut y avoir 4 ou 5 façons tout à fait cohérentes de mener le même draft et le moindre ajustement de chacune d'elle peut faire basculer un jeu dans une direction complètement différente. Si le construit m'a toujours plu, cette profondeur qu'offre le limité m'a toujours fasciné.
Là où le construit est assez cadré, surtout à l'ère d'internet maintenant que les listes de jeu circulent et que la place réservée à la fantaisie est plus restreinte, le développement d'un draft me fait penser à une partie de go. Un choix peut sembler plus ou moins bon qu'un autre, mais c'est la façon dont il est exploité qui détermine sa pertinence et l'anticipation, bien qu'indispensable à la prise de décision, nécessite aussi un facteur X, une intuition, tant elle repose sur des facteurs (coups d'un adversaire / contenu des boosters et choix des adversaires) qui ne sont jamais complètement maîtrisables.
"Ostelen a bouleversé nos vies."
4) Nous nous sommes connus à Ostelen, lieu incroyable où une génération dont tu fais partie a explosé, ton frère Antoine, Amiel Tenenbaum, Gabriel Nassif et tant d'autres... Qu'as-tu découvert là-bas ? Des potes ? La compétition ? La volonté d'atteindre le meilleur niveau ?
Ah Ostelen... Ostelen. Cajus, Jean-Fred, Manu, Jérôme, si à tout hasard vous lisez ces lignes, merci merci merci mille fois à vous pour la création et le développement du sacro-saint lieu de Magic en Ile-de-France !
Je pense pouvoir m'exprimer au nom de bien des gens pour dire combien Ostelen a bouleversé nos vies. Osté, pour ceux qui ne connaissent pas, c'était des tournois homologués tous les jours là où on galérait pour en faire un ou deux par mois auparavant. Une révolution ! En plus, on a eu la chance d'évoluer avec une sacrée génération de joueurs : Eric Vinh, Franck Canu, Florent Jeudon, Amiel Tenenbaum et Christophe Haim notamment, avant une deuxième vague menée par Gabriel Nassif et Farid Meraghni. Et régulièrement présente sur les plus gros tournois, la génération précédente des De Foucault, Vernay, Mongauze qui avait déjà participé à des tournois pros et nous montrait la voie à suivre.
L'émulation et le goût de la compet', je les connaissais déjà de par le gros de mes activités avec Antoine, mais j'ai eu l'occasion de les transposer à l'extérieur du cercle familial. De découvrir des amis, des partenaires et des rivaux au-delà des parties sur la table de bridge du salon de notre mère.
Ostelen
Antoine et moi ne nous battions plus pour savoir qui était le meilleur de la famille, mais pour faire notre trou dans une génération de joueurs, pour beaucoup plus doués que nous, qui nous ont tiré vers le haut. C'est marrant d'ailleurs de me dire qu'avec Antoine, on a cherché à devenir les meilleurs joueurs d'Ostelen, puis de France, qu'on a finalement sans doute été parmi les meilleurs au monde sans jamais savoir qui était le meilleur joueur à la maison.
Aujourd'hui j'ai un fils de 7 mois, lui une fille de 2 ans. C'est peut-être eux qui nous départageront un jour !
Quant à la volonté d'atteindre un meilleur niveau, je pense que je l'ai toujours eue, et pour beaucoup grâce à mon rapport de rivalité plus ou moins saine (selon les périodes) avec Antoine. Mais j'ai mis un peu de temps à comprendre ce que je devais mettre en place pour y parvenir. Le talent est nécessaire pour atteindre un certain niveau de jeu, mais pour aller très haut, dans quelque discipline que ce soit, il est insuffisant. J'étais sans doute plus doué naturellement que 9 joueurs sur 10, ce qui est déjà pas mal, mais pour devenir l'un des meilleurs au monde il fallait que je sois dans le top 0.01%. Et pour y parvenir j'ai eu besoin d'un contexte favorable (qu'Antoine et Ostelen m'ont fourni mieux que quiconque), de beaucoup de travail, d'entraînement, de remise en question permanente. En bref, le seul moyen d'alimenter ma soif de progression a été de mettre en place une professionnalisation de ma pratique, aussi bien dans le jeu que dans la préparation mentale.
"J'ai longtemps cherché à me hisser à son niveau plutôt que de développer une vie sociale"
5) Justement, afin que les gens se rendent compte du travail effectué, parle nous de cette professionnalisation que tu as effectué.
Qu'est-ce que tu as fait de différent pour atteindre un tel niveau ? Préparation par le sport ? Coach mental comme certains joueurs de poker ? Rigueur dans sa manière d'aborder ?
Raconte nous une journée d'un joueur professionnel de magic en fait.
La base, c'est avant tout la rivalité avec Antoine. Et ce avant même Magic. On a toujours partagé les mêmes centre d'intérêts, les mêmes cercles, et nos deux ans de différence faisaient que j'avais toujours un peu de retard. Si on jouait au tennis je prenais 6-4. Si on faisait 10 tournois de Magic il faisait mieux que moi 6 fois sur 10. Et ça s'applique à peu près à tous les aspects de ma vie, j'ai toujours marché sur ses pas et peiné à faire aussi bien que lui. C'est pour ça que je parlais plus tôt de rivalité pas toujours très saine, j'ai longtemps cherché à me hisser à son niveau plutôt que de développer une vie sociale et des centres d'intérêts qui m'auraient été propres.
Mais le bon point dans tout ça, c'est qu'à force de lui courir après, et pour lui de chercher à maintenir son avance, on s'est tirés vers le haut et on est arrivés à un assez haut niveau sans vraiment avoir le temps de s'en rendre compte. A force de soirées passées à tester, en tête à tête puis online, d'échanges téléphoniques très fréquents (encore aujourd'hui d'ailleurs, nos chéries ont du finir par s'y résigner), on a développé un niveau de jeu et une vision du jeu très similaire.
Et bien sur il y a eu Ostelen et les premiers déplacements à l'étranger pour le jeu. A un moment, rien ne remplace la compétition. A Ostelen, la sportivité n'était pas toujours de mise et les meilleurs joueurs avaient vraiment les crocs. Jouer des tournois dans des ambiances à couteaux tirés a été très formateur, d'autant plus que l'ambiance est nettement plus détendue sur les tournois compétitifs. Du coup, je ne stresse que très peu sur les grosses compétitions.
Le vrai déclic a eu lieu vers 2003, 2004, quand Alexandre Peset m'a proposé d'emménager sur Lille et de monter un magazine sur Magic pour joueurs compétitifs. Level Up n'a duré que 6 mois, mais cette période correspond à un moment où j'ai commencé véritablement à vivre Magic, à manger Magic, à respirer Magic. Je passais mes journées à jouer en ligne (très souvent avec Alex) dans les formats des tournois à venir, à viser à faire toujours plus et toujours mieux. A me remettre en question continuellement, à domestiquer ma détestation de la défaite pour la transformer en détermination, à aller chercher le moindre petit out dans les parties les plus mal engagées. A accepter plutôt que de me plaindre de la malchance, si mon adversaire avait commis dix erreurs et moi une seule, c'était une partie que je méritais de perdre si cette erreur était décisive. A partir du moment où j'ai eu le match en main à un moment donné, si je le perds c'est ma responsabilité.
C'est à partir de cette période, et je pense pendant 2 ou 3 ans, que j'ai été meilleur qu'Antoine. Pas parce que mon talent excédait le sien, mais parce que je jouais davantage que lui et m'appliquais une grande discipline mentale dans la pratique du jeu. Mais il suffisait qu'Antoine s'investisse à fond sur un tournoi donné pour me rattraper ou me dépasser, comme quand il a gagné le PT Los Angeles ou l'Invitational.
Quant à la préparation par le sport, ce n'était hélas pas le cas mais ça m'aurait fait du bien je pense. Je pratique aujourd'hui la course à pied de manière intensive (enfin, pratiquais avant la naissance de mon ptit bout, mais je commence à m'y remettre) et j'essaye de faire au moins un marathon par an, mais à l'époque je ne faisais que des footings occasionnels. Par contre je prenais grand soin, avant et pendant les compétitions, de surveiller mon alimentation et mon rythme de sommeil, ainsi que d'arriver suffisamment en avance sur les tournois les plus éloignés pour digérer le décalage horaire.
6) J'allais justement venir à cette relation spéciale que tu sembles avoir avec ton frère.
6 A) Maintenant que vous avez vieilli et arrêté la compétition, as-tu pu « tuer le frère » (de manière freudienne j'entends) qui t'obsédait depuis toutes ces années ? Votre relation s'est t-elle transformée depuis et de quelle manière ?
Oui mais ça aura pris du temps :-) . Il m'aura fallu des années et un déménagement à Lille qui m'a ouvert une toute une nouvelle vie sociale. Aujourd'hui on est devenu des adultes assez différents, mais pour autant cette quasi-géméllité demeure, bien que moins marquée qu'avant. On s'appelle sérieusement 10 fois par jour, pour discuter Magic, foot, poker, mangas, Football Manager (notre bible à tous les deux), mais la grosse différence c'est que nos rapports sont désormais bien plus sains. Chacun a sa vie, sa ville, ses engagements, sa petite famille.
Florent Jeudon, Antoine et Olivier Ruel
J'ai une petite anecdote pour toi d'ailleurs, pour ce qui est de l'assainissement de nos rapports. En 2005 on est à Vienne pour un GP. Je commence par 11-0 et je manque le Top 8, au contraire d'Antoine. Je suis bien aigri comme il faut. Quand il arrive en finale, une partie de moi espère qu'il perde.
Parce que j'ai l'impression de m'être fait voler mon Top 8 ? Par sentiment de rivalité exacerbé ?
Je ne saurais te le dire, mais toujours est il qu'il gagne la 1. La deux est quasi gagnée, son adversaire doit tirer LE Devouring Greed de son deck pour l'emporter, sinon c'est fini.
Bref Antoine a alors plus de 95% de chances de remporter la partie et le GP, et je peine à m'en réjouir. Son adversaire pioche, engage quatre manas, sacrifie toutes ses créatures, et cast le spell létal. Je vois la tronche déconfite d'Antoine, je me rends compte que j'en tire sûrement une pire, parce que d'une part je réalise que je ne voulais pas le voir perdre, mais en plus je m'en veux terriblement d'avoir été aigri et auto-centré. Je réalise que là où j'ai espéré ne pas être éclipsé, j'ai en fait indirectement espéré son malheur. Il perdra la trois assez rapidement et je peux te jurer que c'est la dernière fois, exception faite des fois où j'étais de l'autre côté de la table, que je n'ai pas espéré le voir gagner.
6 B) Mes 2 fils ont le même même écart d'âge que vous , à quoi dois-je m'attendre dans les prochaines années ? Y a t-il des mots à dire ou ne pas dire en tant que parents dans une relation entre frères ?
Je serais toi je ne m'inquiéterais pas trop. D'une part, ce lien m'a coûté mais il m'a rapporté plus encore. Avoir un frère a fait de moi une meilleure personne, et le lien qui perdure encore entre nous n'est pas là parce qu'on n'arrive pas à couper le cordon, mais parce ce qu'il nous est précieux à tous les deux. Enfin c'est mon impression, si tu le lui demandes il ne fera sans doute pas la même analyse. Et ça s'applique à l'ensemble de mes réponses d'ailleurs !
Quant aux choses à dire ou pas, je serais toi j'éviterais simplement les comparaisons. Les directes évidemment (de type "Tiens toi bien, regarde ton frère, il est sage, LUI") mais les plus insidieuses aussi, comme de trop complimenter un gamin devant l'autre. C'est plus ce genre de choses qui m'ont marqué quand j'étais jeune, même si ça ne venait le plus souvent pas de mes parents eux-même et que c'était bien intentionné. Entendre un membre de la famille dire à un gamin qu'il est beau et que personne ne pourra jamais lui dire l'inverse, ça se veut un compliment gentil. Mais quand t'es le frangin, que t'es à un mètre de là et que toi on ne te dit rien, qu'est-ce que tu es supposé en déduire ?
Ca ne veut pas dire que tu ne peux pas complimenter un enfant et que tu ne dois pas reconnaître ses mérites ou l'encourager, mais qu'il ne faut pas s'arrêter à un ou deux critères finalement subjectifs (apparence physique, notes à l'école... lesquels finalement poussent les gamins (et pas que) à rentrer dans des cases), mais plutôt de chercher à encourager leurs spécificités. Enfin ce n'est que mon avis, et je recommanderais ça à tout parent, qu'il ou elle ait un ou plusieurs enfants.
7 A) D'ailleurs... qu'est-ce qui a changé dans ta vie en devenant père ?
J'ai une amie praticienne Shiatsu qui me disait il y a peu recevoir beaucoup de femmes qui lui racontaient des histoires en rapport avec la parentalité. Certaines étaient jeunes parents, d'autres avaient fait une fausse couche ou peinaient à tomber enceinte, mais elle me disait ressentir quelques chose de très similaire dans leur discours, de l'ordre du deuil. Je t'avoue que ça a fait écho en moi, car j'ai eu du mal pendant quelques mois à rentrer dans ma nouvelle vie parce que je n'étais pas préparé à ce que j'étais en train de perdre. J'avais prévu les nuits courtes, la raréfaction des sorties et d'autres choses, mais pas la perte d'une partie de mon insouciance, de ma connexion intime avec l'enfant qui est toujours présent en moi à laquelle je tiens tant.
Et puis pour moi qui ai mis un moment à me sentir bien dans mes baskets puis dans un couple, l'arrivée d'un troisième membre n'a pas été facile. Parce que ça n'a pas été facile pour moi de trouver un équilibre dans mon couple et dans mon bien-être personnel sans jamais négliger l'un ou l'autre, et qu'il me fallait désormais gérer tout un nouveau faisceau de relations. Il y a donc Olivier, Olivia, Ismaël, Olivier-Olivia, Olivia-Ismaël, Olivier-Ismaël et Olivier-Olivia-Ismaël, et aucun de ces groupes ne doit être négligé sous peine de perturber l'équilibre global de tous les autres. Et c'est du boulot, bordel !
Heureusement, on a la chance d'avoir un gamin assez incroyable (du type qui fait ses nuits tout le temps, est sociable, sourit tout le temps) qui est un vrai facilitateur dans cette recherche d'équilibre. Bon, c'est un work in progress hein, il faut toujours rester sur le qui-vive, mais je suis aujourd'hui un papa très heureux et épanoui.
Un autre truc qui a changé avec la parentalité c'est le questionnement par rapport aux problématiques de genre. C'est déjà un thème qui me préoccupe beaucoup à la base, mais depuis que je suis père, je réalise davantage combien de charge mentale je peux laisser à Olivia si je n'y prête pas attention. La parentalité implique tout un lot de petites obligations, plus ou moins contraignante. Et chaque fois que je m'y soustrais, cela implique que c'est ma femme qui va devoir s'y coller à ma place. Non seulement c'est injuste pour elle et déséquilibrant pour notre couple, mais en plus, à chaque fois que je laisse Olivia gérer des choses que j'aurais pu ou dû faire, je montre le dernier exemple que je voudrais à mon fils. J'induis en lui le fait qu'un homme a des privilèges du simple fait de ce qui pendouille entre ses cuisses.
7 B) Jouer à Magic c'est avant tout un plaisir et un objectif personnel, très égocentré, oserais-dire parfois presque autistique.
La vie de père c'est… le contraire.
Les deux événements sont-ils liés, toi qui me disais reprendre des études de thérapeute centrées sur la personne ?
Le moi d'il y a dix ans aurait trouvé du sens à ta question, celui d'aujourd'hui beaucoup moins. Je ne nie pas le côté autistique que peut avoir Magic (et mon PC plus globalement) sur moi, mais mon moteur, dans la vie, est avant tout la recherche de l'épanouissement personnel et de celui de mes proches. Jouer à Magic, tant que je ne teste pas à fond un format qui m'emmerde (ce qui m'arrive très rarement désormais) est un plaisir, je joue parce que le jeu fait partie de mon équilibre. Et je ne connais pas grand chose d'aussi épanouissant que de voir mon bébé rire aux éclats. Mais bon, si on faisait un Pro Tour du papa le plus gaga du monde j'y ferais certainement bonne figure.
Quant à l'ACP, elle repose sur trois principes : la bienveillance inconditionnelle, la congruence (qui se rapproche de ce que l'on peut appeler "pleine conscience") et l'empathie. Je ne sais pas si elle m'aidera beaucoup à répondre à la question du lien entre Magic et la parentalité, mais disons que la découverte de l'ACP m'aide à ressentir davantage les liens invisibles entre les événements, les personnes, les temporalités. L'Olivier pro de Magic est toujours là, en moi, comme l'Olivier enfant, l'Olivier cuistot et même un peu les Olivier que je ne suis pas encore (thérapeute, grand-père, etc.).
Je parlais de Magic en mode compétition bien évidemment.
8) Avant de revenir à Magic et au poker, j'aimerais évoquer encore un autre sujet. Tu me disais travailler maintenant dans une biocoop et être dorénavant plus dans la co-construction.
Cela semble des valeurs importantes pour toi, souhaites-tu nous en dire plus ?
J'ai la chance, depuis une dizaine d'année, d'être entouré par des gens bourrés de valeurs et de convictions, socialement et écologiquement notamment. J'ai vu, entendu et ressenti des choses qui faisaient écho chez moi mais n'ont pas toujours correspondu avec mon mode de vie (tu trouveras difficilement un écolo avec un bilan carbone aussi dégueulasse que le mien lors de mes années de Pro Tour :-) ). Et petit à petit, à mesure que je cherchais davantage de cohérence dans mon rapport à moi-même, aux autres et à la société en général, une nouvelle manière de voir les choses a émergé en moi. Je n'ai pas et n'ai jamais eu de Smartphone ou de GPS, je suis végétarien, je n'achète que très peu neuf, 99% de mes déplacements se font à vélo où en train, même quand je vais à l'étranger, etc. Aucun de ces changements ne s'est fait du jour au lendemain, je cherche toujours à avancer dans davantage de cohérence sans jamais forcer les choses sous peine d'en faire une contrainte.
Je ne suis pas là pour faire du prosélytisme, je trouve les gens qui prônent par l'exemple bien plus inspirants que ceux qui le font par le jugement et la culpabilisation, mais je n'ai pas de problème à expliquer mes choix si on me le demande. Quant au boulot que je fais en Biocoop, c'est marrant, je me faisais la réflexion récemment que c'était un boulot assez chiant mais qui me fait beaucoup de bien. J'ai eu l'occasion de faire des tafs très intéressants dans des cadres assez difficiles, mais, passés quelques mois, je m'y sentais mal.
A Biocoop c'est l'inverse : les tâches en elles-mêmes sont assez peu enthousiasmantes, mais le cadre dans lequel j'évolue est idéal. On n'appartient pas à une chaîne de très grande distribution comme une bonne partie de la concurrence, et ça se ressent dans le choix des produits comme dans les ressources humaines. Les clients sont cools, j'ai la chance de bosser dans un quartier suffisamment populaire pour que le magasin attire plus le client qui a des considérations éthiques que le bobo ou celui qui fait ses courses parce qu'il a pas mal de thunes et peut se le permettre. J'adore mes collègues, idem pour mon patron. Je ne resterai sans doute pas ici 107 ans, mais je mesure ma chance d'avoir trouvé dans ma vie professionnelle un prolongement, en terme de bienveillance, de ce que m'apporte ma vie perso.
Quant à la co-construction, elle s'inscrit dans cette même logique. J'aime me fixer des objectifs, mais ils ne sont généralement pas aussi important que les chemins qui y mènent. Un proverbe de deux secondes, je fais une recherche Google, un proverbe africain dit "Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin". Les démarches purement individuelles me semblent avoir moins de sens dès lors qu'aucun choix de vie que l'on fait n'a d'impact que sur nous même, alors autant avancer accompagné.
Même la course à pied, qui est ce que je pratique de plus individuel, n'a de sens à mes yeux que si je peux compter sur le soutien d'Olivia. Parce qu'aller courir en rentrant du boulot c'est rogner sur notre temps à deux (ou trois) et la laisser s'occuper du fiston. Parce que je ne peux prétendre à un équilibre personnel s'il ne se construit au détriment d'un équilibre collectif. C'est pour la même raison que j'ai mis de côté le poker. T'as vu ? Je te tends une perche pour la transition.
Je vois... je vois !
J'allais t'envoyer la photo d'une certaine carte... mais parlons poker.
9) Je n'ai pas suivi ta période poker, pourrais-tu nous expliquer ce que ce jeu t'a apporté ?
Rien d'anormal là-dedans, je n'ai jamais participé à des tournois majeurs ni gagné des sommes folles. Il y a ceux qui crèvent l'affiche (comme Gabriel Nassif, Dave Williams ou José Barbero pour parler uniquement d'anciens magiciens) et dont les gains peuvent être assez importants. Il y a, bien plus nombreux, ceux qui essayent parce que ça a l'air cool, mais qui n'y arrivent pas. Et il y a, entre les deux, des gens comme moi, qui, s'ils jouent régulièrement, vont gagner autour de 2000 euros par mois en moyenne. Rien de faramineux, mais tu ne verras jamais chez moi de grands écarts de bankroll. Je ne joue que des tournois entre 5 et 20 balles d'inscription, ce qui fait que même dans les périodes où la variance est la plus dure avec moi, je ne me mets pas en danger financièrement. Mon but quand je joue est d'essayer d'assurer un revenu régulier dans un domaine régi par l'aléatoire, comme quand je jouais à Magic de façon pro d'ailleurs . :-)
Le poker m'a aidé dans ma transition de Magic à la "vie réelle". A garder ce goût de la compet', et à engranger des revenus supplémentaires quand mon salaire de serveur ne me suffisait pas, puis à mettre un peu de sous de côté quand j'en ai eu besoin. Aujourd'hui je ne joue presque plus, car la majorité des tournois les plus intéressants se déroulent le soir, qu'il faut jouer régulièrement pour atteindre puis maintenir un bon niveau, et que je ne me vois absolument pas imposer cela à ma femme. Surtout maintenant qu'Ismaël est entré dans nos vies, et cela rejoint ce que je te disais sur l'épanouissement personnel : s'il doit se construire au détriment de mon équilibre familial, il perd tout son sens.
Cependant, ça m'a toujours rassuré et me rassure aujourd'hui encore de me dire, si je traverse une période difficile ou que je perds mon emploi, que j'ai une solution alternative pour subvenir à mes besoins.
Bon, tu m'intrigues, c'est quoi ta photo de carte ?
La réponse à sa question et le reste de l'entretien la semaine prochaine.
Nous parlerons du Japon et de la culture japonaise, de la triche à Magic, d'Alain Damasio, d'écologie et de ses enfants.
Pour ceux qui souhaiteraient soutenir mes entretiens, voici ma page tipeee, même un petit geste fait plaisir et vous pourrez contribuer à d'autres interviews réalisés sur des festivals (Cannes, Paris est ludique, Essen...) :
Merci à mes Tipeeeurs de me soutenir : Arnaud Urbon, Bruno Faidutti, Emilie Thomas, Nicolas Soubies ,Virgile De Rais, Pierre Rosenthal, Ludikam et Majax!
Pour ceux qui souhaiteraient découvrir les précédents entretiens, mes animations ou suivre ma page facebook :
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Saison 1
Yves Hirschfeld
Benoit Forget
Bruno Faidutti 1ère partie
Bruno Faidutti 2ème partie
Naiade
François Haffner 1ère partie
François Haffner 2ème partie
Pierô Lalune
Timothée Leroy
Mathilde Spriet
Sébastien Pauchon
Tom Vuarchex
Vincent Dutrait 1ère partie
Vincent Dutrait 2ème partie
Christophe Boelinger 1 ère partie
Christophe Boelinger 2ème partie
Régis Bonnessée
Roberto Fraga 1ère partie
Roberto Fraga 2 ème partie
Cyril Demaedg
Bruno Cathala 1 ère partie
Cyril Blondel
Bruno Cathala 2ème partie
Yahndrev 1ère partie
Yahndrev 2ème partie
Emilie Thomas
Sebastien Dujardin
Florian Corroyer
Alexandre Droit
Docteur Mops 1ère partie
Docteur Mops 2ème partie
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Croc
Martin Vidberg
Florent Toscano
Guillaume Chifoumi
Nicolas Soubies
Juan Rodriguez 1ère partie
Juan Rodriguez 2ème partie
Bony
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Docteur Philippe Proux
Franck Dion 1ère partie
Franck Dion 2ème partie
Franck Dion 3ème partie
Yoann Laurent
Carine Hinder et Jerôme Pélissier
Dominique Ehrhard
Christian Martinez
Maxime Savariaud
Véronique Claude
Shadi Torbey
Saison 2
Fabien Bleuze
Serge Laget
Djib 1ère partie
Djib 2me partie
Florian Sirieix
Farid Ben Salem 1 ère partie
Farid Ben Salem 2ème partie
Julien Lamouche
Jean-Louis Roubira 1ère partie
Jean-Louis Roubira 2ème partie
Philippe des Pallières 1ère partie
Philippe des Pallières 2ème partie
Julian Malgat Tome 1
Philippe Tapimoket 1ère partie
Philippe Tapimoket 2ème partie
Théo Rivière
Reixou
Nicolas Bourgoin
Natacha Deshayes
Gary Kim
Emmanuel Beltrando
Tony Rochon
Thierry Saeys
Lia Sabine
Igor Polouchine 1ère partie
Igor Polouchine 2ème partie
Bernard Tavitian
Marcus 1ère partie
Marcus 2ème partie
Gaetan Beaujannot
Jean-Michel Urien
Michel Lalet 1ère partie
Michel Lalet 2 ème partie
Michel Lalet 3ème partie
Christophe Raimbault
Gaelle Larvor / Nam-Gwang Kim
Stefan Feld
Saison 3
Catherine Watine
Jean-François Feith
Nadine Seul 1ère partie
Nadine Seul 2 ème partie
Guillaume Lemery 1 ère partie
Guillaume Lemery 2 è me partie
Jérémie Fleury Tome 1
Aurore Matthey
Richard Garfield
Rémi Amy
Eric Jumel
Hadi Barkat
Roméo Hennion
Clément Leclercq
Blaise Muller
Claude Leroy 1ère partie
Claude Leroy 2 ème partie
Marie Cardouat 1ère partie
Marie Cardouat 2ème partie
Gabriel Nassif 1 ère partie
Gabriel Nassif 2 ème partie
Grégoire Sivan
Saison 4
Julien Sentis
Bertrand Arpino 1 ère partie
Bertrand Arpino 2 ème partie