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d'événements ludiques
Jeux Viens à Vous Bruno Cathala
A ma gauche Mademoiselle Mathilde, 1m65, 56kg, championne du monde de Jeux Viens à Vous avec 7300 vues!
A ma droite le nouveau challenger , 1m75, 72 kg, champion de la tric trac cup avec Five Tribes, Bruno "The Kingdomino" Cathaaaala!
Parviendra t-il à battre le world record? Offrira t-il un 7 wonders duel à chaque personne lisant l'interview?
Le combat est lancé!
Trève de plaisanterie, cette semaine je m'entretiens avec Bruno Cathala, auteur de très nombreux jeux dont Kingdomino depuis 2 semaines, communiquant talentueux avec ses carnets d'auteur, partenaire à succès d'Antoine Bauza, Bruno Faidutti, Ludovic Maublanc et depuis peu de Christian Martinez son beau frère avec Fourberies.
Que dire sur Bruno Cathala? Que dire de plus? Où aller avec lui?
Cela a été à la fois simple et compliqué, parfois frustrant, car Bruno reste maitre de son personnage et je n'ai pu lui extirper tout ce dont j'aurais eu envie, voire tout simplement à tout comprendre mais c'est la règle du jeu de ces entretiens.
Pourtant comme à son habitude, Bruno Cathala nous emmène avec lui, nous faire vivre son histoire digne d'un romancier de polars. Il sait ce qu'il veut vous transmettre et le fait avec talent et émotion.
Dans cette première partie, nous parlons de lui, de son choix de vie professionnel, de ses collaborations avec notamment Bruno Faidutti, Ludovic Maublanc et Antoine Bauza, et d'une anecdote digne d'un film de james bond...
1) Bruno Cathala, auriez-vous la gentillesse de vous présenter?
Je suis né le 22 novembre 1963, jour même où un certain Lee Harvey Oswald a décidé de faire un carton sur
le président des Etats-Unis. Le général De Gaulle étant lui-même né un 22 novembre, mon grand-père a déclaré, â la naissance: " Celui-là, on en fera quelque chose... Si les petits cochons ne le mangent pas"
Je me suis donc toujours méfié des cochons. Surtout les petits. Ils ne m’ont donc pas mangé, mais je ne suis pas
sûr qu’on ait fait quelque chose de moi.
J'ai toujours été joueur, depuis tout petit. Mais ce n'est qu'étudiant que j'ai découvert qu'il y avait une vie
après le Monopoly, grâce à feu la revue Jeux & Stratégie. Cette revue ma ouvert les yeux sur un univers que je ne soupçonnais pas, et m'a fait prendre conscience qu'il y avait des gens qui inventaient des jeux. Ça m'a immédiatement donné envie d'en inventer un, moi aussi, un jour. Sauf que je n'avais pas le début d'une idée. Ou plutôt que mes débuts d'idées ressemblaient invariablement à des variantes des échecs.
Et ça, j'avais heureusement le recul suffisant pour avoir conscience que ça n’avait aucun intérêt.
J'ai donc tranquillement terminé des études scientifiques, puis été embauché dans l'industrie pour faire de la recherche en sciences des matériaux. Tout en me cultivant de la chose ludique grâce à tout ce que je pouvais trouver sur mon chemin. Tout particulièrement, j'étais celui qui allait acheter les jeux, en décortiquait les règles, les expliquait aux potes.
Tout au long de cette période, l'envie de faire mon jeu, un jour, ne m'a jamais quittée.
Mais quand tu as un job passionnant et prenant intellectuellement, dans une entreprise qui te permet de progresser, quand tu es très impliqué par le sport, avec deux entraînements et un match de rugby chaque semaine, quand tu commences une vie de couple qui devient vie de famille avec deux enfants séparés de 21 mois, et bien il ne reste pas vraiment assez de place pour autre chose. Et puis en 1999, je me suis pété le genou.
Plus de rugby.
Et aussi le je-nous. Divorce.
Une période difficile qui m'a amené à me retrouver face à moi-même. Et du coup, pour combler le vide des week-ends sans mes enfants, et sans les potes du rugby, j'ai décidé de tenter d'essayer de créer mon 1er jeu: ce sera "Sans Foi Ni Loi".
J'ai eu beaucoup de chance et grâce à de belles rencontres (Bruno Faidutti tout particulièrement) le jeu fera son chemin jusqu'à l'édition. Ça m'a donné confiance et je n'ai depuis jamais cessé de créer.
Tout d'abord en hobby, en parallèle de mon "vrai" métier. Puis â temps plein, à partir de 2004, suite à un licenciement économique. Mais toujours par passion.
Aujourd'hui j'ai la chance qu'éditeurs a et joueurs continuent à me faire confiance sur ce chemin fragile.
Pourvu que ça dure !
"Chaque mois, j'ai été sur la corde raide pour payer mon loyer"
2) Vous aurez bientôt 53 ans, un âge, où la carrière professionnelle, aussi honorable que cela soi, est plutôt derrière soi que devant, vous vivez actuellement du jeu, vous êtes-vous demandé si vous alliez continuer jusqu’à la retraite, et d’ailleurs comment envisagez-vous cette dernière ?
Où bien envisagez-vous la possible éventualité de reprendre une activité dite plus traditionnelle pour vos 5/10 dernières années dans la vie dite active?
Déjà, je n'ai que 52 â nos et demi (oui, je cultive ma part de féminité côté coquetterie)
Concernant mon avenir professionnel, il n'y a sans doute aucun retour possible dans l'industrie. J'aime quitter un secteur technologique de pointe il y a maintenant 12 ans. Et si je n'ai pas de doute quand â ma capacité à retrouver le niveau nécessaire en moins de 3 mois, même si je le souhaitais, il est peu probable qu'une entreprise m'ouvre les portes. D'une part du fait de mon âge. D'autre part à cause de mon activité actuelle.
En effet, je travaille aujourd'hui â mon compte, sans hiérarchie, et aucun Responsable des ressources humaines (parenthèse: il faudrait d'ailleurs qu'ils assument de supprimer le " humaine" de leur titre, car en fait ils ne considèrent le personnel qu'en tant que ressource) ne croira que je puisse rentrer à nouveau dans une structure hiérarchisée, avec respect des règles et horaires, alors que je viens de vivre en autonomie si longtemps.
De plus, le fait d'avoir en parallèle quelques revenus issus des royalties des jeux encore en activité sera vécu de leur côté comme un risque supplémentaire: n’étant pas 100% dépendant des revenus salariés, ils craindraient une liberté de ton jugée trop dangereuse.
Bref, il va me falloir faire avec les revenus issus des jeux. Et ce n'est pas simple. Je suis à mon compte depuis 2004.
De 2004 à 2011, chaque mois, j'ai été sur la corde raide pour payer mon loyer. Ce qui m'a amené à travailler en tant que vendeur en boutique de jeu spécialisée, un ou deux jours par semaine. Une riche expérience.
En 2011, la situation s'est un peu améliorée grâce à Hurrican, qui m'a offert de travailler pour eux â temps partiel en tant que développeur. Ces deux jours suffisant à garantir le loyer, je n'ai ensuite pas vécu largement, mais au moins avec moins de stress.
Et puis 2014 a vu la sortie de Five Tribes et Abyss. Et 2015 celle de 7 wonders duel (merci Antoine ).
Le succès rencontré par ces trois jeux me permet aujourd'hui d'enfin respirer. J'ai pu enfin mettre un peu d'argent de côté, me garantissant quelques mois de sérénité en cas de pépin personnel.
Five Tribes, un jeu qui donne de l'indépendance
Aujourd'hui, tout va bien. Mais la question est " pour combien de temps" ?
En effet, la durée de vie des jeux est de plus en plus courte et rien ne garantit que les jeux qui me font vivre aujourd'hui seront encore suffisamment porteurs dans 10 ans. Et à l'horizon de 20 ans, il est hautement probable que tout ceci sera loin derrière. Et comme mes cotisations retraites ont été pas loin de rien du tout sur les 12 dernières années, il est préférable pour moi d'avoir encore longtemps des idées et qu'editeurs et joueurs continuent à me faire confiance un moment.
Car c'est bien là la question majeure: je ne sais travailler que sur des jeux que j'ai envie de jouer moi- même. Chaque année je prends un an de plus. Tandis que le cœur de cible de la population des joueurs reste le même, globalement entre 25 et 45 ans. Donc... À partir de quel moment mes propres envies vont-elles se retrouver en décalage avec celles du cœur de cible... Le plus tard possible, j'espère.
Car si j'ai 52 ans et des brouettes, cela ne fait finalement qu'un peu plus de 10 ans que j'exerce mon activité d'auteur.
10 ans, dans une carrière professionnelle classique, c'est encore peu.
Bref, Je ne suis pas usé. J'ai pas mal d'envies… Et Il me reste donc à espérer vivre longtemps et en bonne santé pour pouvoir les mener à bien et ainsi assurer financièrement mes futurs vieux jours.
3) Par rapport à votre choix de carrière justement, comment vos proches et moins proches ont accepté votre décision de vivre du jeu?
Avez-vous eu des remarques, des inquiétudes, et sous quel statut vous présentez-vous? Auto entreprise? Libéral? Eurl?
Bien évidemment, un tel choix a généré beaucoup d’inquiétudes au niveau de mes parents, c’est clair. Il faut dire que je suis issu d’une famille de fonctionnaires, et plus particulièrement d’enseignants. Parents, oncles , tantes, grand-père etc etc: que des enseignants. Avec une composante forte, celle de la « sécurité de l’emploi ». Déjà, le fait que, jeune, je me dirige vers le secteur du privé, dans l’industrie, était source d’inquiétude.
Mais alors lorsque j’ai été licencié et que j’ai décidé de tenter l’aventure de vivre du jeu, là, les inquiétudes ont été encore plus grandes. Après, pour revenir au libellé de la question, ma famille, ou mes proches n’ont pas à accepter ou non ma décision.
Je n’ai jamais pris mes décisions, personnelles ou professionnelles, dans l’espoir d’une quelconque co-optation de leur part. Je fais mes choix. Je les explique, s’ils me comprennent tant mieux, sinon, ce n’est pas grave. Je vis ma vie, pas la leur.
Quand au statut, j’ai créé la société Entrejeux, une EURL, qui me permet de gérer mes revenus issus des royalties et autres prestations (création sur cahier des charges, animation, conseil, etc..) de façon claire vis à vis de l’administration fiscale.
4) Vous avez eu une forte production de jeux durant toutes ces années, est-ce lié au fait pendant longtemps vous ne touchiez que peu d’argent et donc que naturellement, peut-être même inconsciemment, vous compensiez naturellement par plus de jeux ou bien êtes-vous depuis toujours très productif ?
Est-ce que vos derniers grands succès ont changé quelque chose dans une journée type de Bruno Cathala (Moins de stress, plus de repos….) ?
Le nombre de mes sorties annuelles n’est absolument pas lié à mon besoin de revenus. Je ne sais travailler que sur des envies fortes. Sur le jeu auquel j’aurai envie de jouer là, maintenant. Je ne peux donc pas forcer l’arrivée de nouvelles idées. Les idées arrivent au détour du chemin, à vélo, en voiture, sous la douche, au cours d’une conversation, sans crier gare, ni rien d’autre d’ailleurs, sinon ça serait plus facile de les identifier ;-)
Bruno lors d'un grand moment de stress ;-)
5) Vous avez précisé que vous vous éloigniez de l’âge du cœur de cible des joueurs.
Des gens tels que Noam Chomsky, Pierre Bourdieu ou Edgar Morin n’ont jamais été aussi proches des jeunes qu’à leur âge de senior.
Vos succès étant d’ailleurs plus importants maintenant qu’avant.
C’est une réelle inquiétude pour vous ? Comment la contrez-vous, fréquentez-vous un maximum la jeune génération afin de mieux la comprendre ?
C’est une angoisse que vous avez uniquement au niveau professionnel ou cela vous touche également au niveau de votre vie personnelle (idées, technologies etc…)
Angoisse est un terme un peu fort. Je n’ai, par exemple, jamais encore eu à ce jour l’angoisse de la page blanche. Par contre, oui, je ressens le stress de réussir à m’en sortir financièrement jusqu’au bout, puisqu’il n’y a pas de retour en arrière possible.
Mais soyons clairs: je suis ravi de ma vie, du chemin que je trace devant moi, et qui me permet aujourd’hui de réunir passion et vie professionnelle. Une chance assez unique.
Quant à la « jeune génération » ce qui est rigolo, c’est qu’effectivement, je travaille de plus en plus avec elle. Pas parce que je cherche à la comprendre, mais bien parce que c’est elle qui vient vers moi, naturellement. Pas mal d’auteurs plus jeunes me contactent, pour des conseils, un regard, un coup de pouce. Et parfois cela débouche sur de belles amitiés, et même des collaborations. C’est ainsi que j’ai commencé à travailler avec Matthieu Lanvin (Manchots Barjots et bientôt Crazy Mistigri), ou encore Florian Sirieix (Curiosity à paraitre l’an prochain chez Bombyx) ou encore Marc Paquien (Yamatai, le prochain Days of WOnder l’an prochain - en plus ce sera son premier jeu édité). J’espère bien travailler un jour avec un Théo Rivière (qui vient de sortir son Sea of Clouds), ou un Corentin Lebrat (qui a publié entre autres Le petit Poucet)
Je suis curieux de plein de choses pour lesquelles je ne suis pourtant pas à priori le coeur de cible. Par exemple, il peut m’arriver de chasser le pokemon, et j’ai beau expliquer à mon entourage que ce n’est que professionnel, par pure veille technologique de ma part, en fait, il me fait bien avouer que j’aime ça, tout simplement. Et puis… MOI j’ai Tauros !!!
"C’est quelqu’un de généreux et sensible, qui a le coeur sur la main"
6) Vous venez de parler de collaborations, pourriez-vous nous parler de 2 rencontres importantes à vos yeux dans le monde ludique, l’une sur le plan professionnel et l’autre sur le plan humain ?
L’une des qualités n’enlevant rien à l’autre, et vice versa
La question est vraiment cruelle tant la plupart des rencontres que j’ai pu faire dans le monde ludique aura souvent eu un véritable impact sur mon parcours. Alors en isoler 2 est bien difficile. De la même façon il est impossible de distinguer le côté humain et le côté professionnel. On évolue dans un milieu de passionnés. Et la chance que l’on a, c’est que justement on choisit les gens avec qui on travaille autant pour des raisons humaines que professionnelles. Avoir un jeu qui marche est une entreprise des plus incertaine.. alors autant s’engager sur ce chemin branlant avec des gens que l’on aime.
Mais puisqu’il en faut deux…
Je ne peux pas faire autrement que de parler de Bruno Faidutti! On ne s’était jamais rencontrés (d’ailleurs je ne connaissais personne dans le milieu du jeu). Et sur la base d’un simple échange de mail, il a accepté de jeter un oeil à mon prototype de Sans Foi Ni Loi… et a ensuite choisi de le pousser auprès de Jeux Descartes, l’éditeur francophone phare de cette époque. Un sacré coup de boost, pour sûr !! Mais plus que ça, il m’a ensuite piloté partout sur les festivals, pour me présenter à tous les éditeurs de France et d’ailleurs, tout particulièrement au salon d’Essen. Oui, je dois beaucoup à Bruno. ET je ne suis pas près de l’oublier. C’est quelqu’un de généreux et sensible, qui a le coeur sur la main, et sou sommes vite devenus amis, avant même de devenir co-auteurs. Je suis donc ravi aujourd’hui, bien des années plus tard, que notre collaboration se poursuive de temps à autres. Avec tout particulièrement ces derniers mois, notre Raptor qui fait son petit bonhomme de chemin.
Et puis Ludovic Maublanc, dont on ne parle pas assez, tout discret qu’il est. Je suis sans doute plus présent et visible que lui sur les salons, et mon nom est souvent mis en avant. Mais il serait injuste de l’oublier. Sans son idée génial de concept « Ombre et Lumière », pas de Mister Jack. Sans nos discussions en mode ping-pong cérébral sur différentes envies, pas de Cyclades. Cela fait maintenant pas mal d’années que l’on bosse ensemble. Pourvu que ça dure !!
Après.. il y en a tant. Car c’est ça la magie du petit monde du jeu. Editeurs, distributeurs, joueurs, peu importe .. on est toujours entre passionnés, on fait pour ainsi dire partie de la même famille. Et du coup, les amitiés, vraies, durables, naissent assez facilement au détour des discussions sur les salons, les forums, et parfois même en jouant online. En fait aujourd’hui une de mes frustrations, sur les salons, est de ne pas avoir assez de temps à passer avec tous ces amis-là.
Ludovic Maublanc et Bruno Cathala entrain de jouer à Cyclades
7) Je vais me faire l’avocat du diable, mais on ne demande pas par exemple à un patron du BTP d’être passionné des parpaings, qu’est ce qui fait que le monde du jeu est autant composé de passionnés selon vous, y voyez-vous parfois certains inconvénients ou pas du tout?
Je sais que vous avez eu une mésaventure avec un éditeur (witty games) qui n’était pas réputé pour le côté passionné, pensez-vous que des gens à la base plus commerciaux que passionnés peuvent apporter du plus au monde du jeu, tel Marc Nunes par exemple ?
Je pense que ton postulat de départ est complètement faux, parce qu’il y a patron de BTP et patron de BTP…
Ce que je veux dire par là, c’est que je suis vraiment persuadé que le patron d’un petite PME de BTP est lui aussi avant un passionné de son travail. Bien sûr qu’il lui faut des compétences commerciales pour réussir à faire vivre son entreprise, mais il a lui aussi l’amour de son métier.
Par contre, le patron d’une société du CAC 40 dans le BTP, lui, est avant tout un financier bien loin du métier de base avec ici la nécessité de faire du « bas de page » pour satisfaire les actionnaires. Il a sans aucun doute l’amour de son métier, mais son métier à lui, c’est le « bas de page ». L’entreprise pourrait vendre des parpaings, des voitures ou des petites cuillères, ça ne changerait rien, et les hommes qui sont dans l’entreprise sont avant tout une « charge salariale ».
On peut comparer, globalement, le monde du jeu à un tissu de PME, avec à leur tête des passionnés.. mais qui ont eux aussi nécessité d’avoir des compétences commerciales pour leur survie.
De la même façon, tu cibles Marc Nunes dans ta question, en le présentant plus comme un commercial que comme un passionné. C’est totalement faux. Même si je le connais moi-même assez peu, finalement, j’ai eu l’occasion, bien sûr, de le croiser et d’échanger personnellement régulièrement, à différentes époques de la vie d’Asmodée. Et c’est très clairement lui aussi avant tout un passionné des jeux. Il connait un paquet de jeux, continue à jouer régulièrement, et ne lancera pas l’édition d’un jeu qui ne le convainc pas. D’ailleurs, c’est bien justement dans cette optique qu’il a lancé l’aventure Space Cowboys, pour revenir au plus près de cette passion pour les jeux qui le faisait vibrer aux débuts d’Asmodee. Ca ne l’empêche bien sûr pas d’être aussi un sacré capitaine d’industrie.
Après, on voit aujourd’hui arriver dans le monde du jeu un autre type de profil. Des gens qui lancent des boites un peu sur le modèle des start up informatiques. Ils lèvent des fonds, et espèrent, le temps de brûler cette somme initial, réussir à piocher LE jeu qui va tout changer. La locomotive. Dans l’espoir de revendre ensuite la société. Pour l’instant, ce mode de fonctionnement reste marginal, et surtout n’a encore jamais été couronné de succès.
8) Vous me parliez de technologie, vous venez de publier à l’heure où nous parlons un carnet d’auteur sur les jeux japonais et notamment l’hanafuda, où vous racontiez vos péripéties notamment professionnelles au japon et notamment l’espionnage industriel.
Est-ce une pratique vraiment courante et spécifique à ce pays de haute technologie ou avez-vous vécu la même chose en France?
Vous a-t-on demandé de « surveiller » par exemple des étrangers venant dans votre entreprise ?
Il ne faut pas être naïf. A partir du moment où les enjeux industriels sont forts, que ce soit pour des raisons purement financières, ou également stratégiques (là, on parle de matériaux utilisés pour applications militaires), bien évidemment que l’espionnage industriel est une réalité. Ce n’est pas l’apanage de tel ou tel pays et la France le pratique comme tous les autres.
Chacun comprendra que cette interview n’est absolument pas le lieu pour dévoiler quoi que ce soit concernant mon ex entreprise. Car même si je reste vraiment blessé, amer et rancunier concernant mon licenciement, les éventuels faits que je pourrai avoir eu à connaître sur ce sujet resteraient de toute façon soumis au « confidentiel défense ».
Give me DATAS! »
Ce périple au japon a-t-il été simplement contraignant ou vous êtes-vous parfois senti en danger ?
Auriez-vous une autre anecdote croustillante à nous raconter à ce propos cher Bruno Bond ? ;-)
Nous étions là-bas pour une mission bien précise de transfert technologique de savoir-faire. Pas du tout dans l’optique d’obtenir quelque renseignement que ce soit. Et si les techniciens que nous étions se sont à juste titre sentis sous surveillance, c’est parce que nos hôtes cherchaient à obtenir des renseignement qui n’étaient pas dans le cadre du contrat. Bref…. il n’y a pas eu de Bruno Bond là-bas…
Par contre, des anecdotes, oui, quelques-unes.
Le soir, après des loooooooongues journées de travail, comme les enjeux financiers étaient lourds, on nous a amené régulièrement manger à l’extérieur, dans des restaurants de très haut niveau gastronomique.
Et là, j’ai découvert et vraiment pris plaisir au raffinement de cette cuisine japonaise.
Et puis ensuite, il fallait absolument qu’ils nous entrainent dans des bars super petits, pour chanter du karaoke à tue-tête (une découverte: ça n’existait pas encore chez nous), et aussi boire, boire, boire. Tout. Whisky, Sake, bière, et encore Sake, whisky, bière. Mon foi a pris 10 ans en un seul mois !
Jusqu’à ce que parfois, l’un d’entre eux tombe et roule littéralement sous la table.
Et puis bien sûr, nous étions 6, 3 français et 3 japonais dans une pièce grande comme une cuisine, et comme par miracle 6 filles apparaissaient, plus que légèrement vêtues, pour se frotter à nous, et tenter de nous emmener à part… On est en 89, j’ai 26 ans, je suis célibataire, elles ne sont ni farouches ni moches..
C’est tentant, non ?
Sauf que… on avait été briefés avant le départ, et que c’était interdiction absolue de faire le moindre faux pas. On nous avait expliqué que le risque était qu’ils prennent des photos compromettantes et tentent de s’en servir pour obtenir des données hors contrat.
Pour mes deux compagnons d’aventure, refuser était facile: ils montrent systématiquement leur alliance.
Et du coup, les filles n’insistaient pas… enfin pas trop. Mais dans mon cas, le refus leur semblait vraiment incompréhensible..
Ben quoi ?? tu es célibataire ? on t’offre une fille superbe ?? et tu dis non ??? du coup, à un moment, leur patron m’a pris à part. Pour m’expliquer que si je préférais un garçon, ce n’était pas un problème, ils pouvaient me trouver ça facilement. Euh… non.. merci . vraiment !!
Une autre fois, en fin de séjour, nous n’étions plu alors que 2, le chef de mission ayant du rentrer sur France.
Je m’absente quelques minutes de la salle de réunion pour aller aux toilettes.
Et lorsque je reviens, j’ouvre la porte et découvre qu’ils sont trois à tenir mon collègue par le col, plaqué contre le mur, en le harcelant d’une seul et unique question:
« Give me DATAS »
(ces fameuses données techniques confidentielles ne faisant pas partie du contrat et qu’ils ont cherché par tous les moyens à obtenir.. ces données que nous n’avions pas emmenées avec nous sous forme de document, justement parce la prudence nous avait amené à plutôt les savoir par coeur qu’à se trimballer avec des documents sensibles)
Là, je n’ai pas réfléchi une seconde.
J’ai attrapé par le col le premier qui était devant moi, et je l’ai envoyé valser dans la pièce. Je jouais au rugby. Et ça ne se discute pas. On ne touche pas un co-équipier.
On ne laisse pas un co-équipier seul dans la merde. le gars est tombé à terre et il y a eu immédiatement une sorte de silence absolu.
En effet, je n’avais pas remarqué, mais le gars en question était le patron. le GRAND patron.
L’équivalent d’un patron du CAC 40 chez nous.
Et ils ont un sens aigu de la hiérarchie. Que ce sois moi, le sans grade, qui ait en plus osé porter la main sur le mega chef, on pouvait aller à l’incident diplomatique. Alors il y a eu silence. Tous les japonais regardant le patron à terre et attendant sa réaction.
Lui-même a attendu quelques instants avant de choisir sa réaction..
Et il a finalement choisi de commencer à rire.
Alors ils se sont tous mis à rire. Alors on a ri avec eux.
Et ils ne nous ont plus jamais enquiquiné avec les « datas »
Mais je crois qu’on n’a pas été loin de prendre l’avion du retour séance tenante.
Voilà pour ce qui est racontable.
9) Que pouvez-vous dire justement sur le japon cher à vos yeux et sur ses habitants à quelqu’un comme moi qui ne connait absolument rien à ce pays, à part la vision (faussée ?) que l’on nous donne dans les médias ?
Plus techniquement, Alain Ducase, expliquait que son voyage au Japon, lui a permis de découvrir l’art culinaire japonais et notamment la texture, beaucoup plus travaillée là-bas que dans la cuisine française.
Cela avait influencé sa façon de cuisiner.
Est-ce que le japon (ou un autre pays d’ailleurs) vous a influencé sur votre manière de réfléchir à la création des jeux ?
Il m’est en fait bien difficile de parler du Japon. Car ma connaissance en est vraiment très limitée.
D’une part mon périple là-bas date de 1989 et il est certain que le Japon d’aujourd’hui est très différent.
D’autre part c’était un mois en mode voyage professionnel, en travaillant presque 7 jours sur 7 (on a pris une journée de « congé » pour visiter Sapporo)
En plus, à cette époque, je n’avais pas encore commencé à travailler sur le moindre jeu.
Antoine Bauza, qui a, lui, voyagé là-bas plusieurs fois ces dernières années, serait beaucoup plus à même de répondre à cette question.
Il n’empêche que ce séjour m’aura moi aussi permis de découvrir une cuisine subtile et raffinée que j’ai beaucoup aimée. Et m’a donné l’envie, un jour, d’y retourner « pour de vrai"
10) Antoine Bauza, c'est devenu l'un de vos compagnons de jeux, vous êtes à mon sens, les 2 opposés et c'est peut-être d'ailleurs pour cela que vous vous complétez si bien.
Vous le calculateur stratège réfléchissant à un système, lui le poète ludique souhaitant raconter une histoire.
Je dois vous faire une confession terrible, mon épouse ne supporte pas vos jeux fait en solo, non pas qu'elle les trouve mauvais, mais simplement qu'ils sont trop mécaniques.
Mais elle apprécie énormément Le petit Prince et 7 wonders duel, parce que je crois, le mélange de vos 2 styles crée une réelle alchimie.
Comment ressentez-vous votre collaboration?
Enfin qu'avez-vous envie de nous dire sur Antoine, quelqu'un qui à mon sens est à la fois humble et très talentueux.
Franchement je ne suis pas certain du tout qu’on soit si opposés que ça. C’est simplement une perception de votre part, en retenant certains jeux plus que d’autres au milieu d’une ludographie.
Oui, bien sûr je suis un amoureux du jeu abstrait pour deux joueurs, et cela se ressent dans ma ludographie, de façon totalement assumée, avec des jeux comme Kamon, Drôles de Zèbres, Okiya, pour ne citer qu’eux.
Mais bien souvent j’attache aussi un vrai soin à la thématique, à cette envie de raconter des histoires. Et là je peux citer des jeux comme Sans Foi Ni Loi, les Chevaliers de la Table Ronde, Mission planète Rouge, Mr Jack, Jamaica, Senji, Cyclades, Raptor, Fourberies, ou encore Kanagawa, là encore pour n’en citer que quelques-uns.
En ce qui concerne Antoine, on pourrait faire le même constat. Pour le joueur que je suis, par exemple, lorsque je joue à 7 Wonders, je n’ai jamais le sentiment de développer la moindre civilisation. Par contre je joue clairement à putain de super bon jeu de draft de type « point salad » à la fin. Par contre, à Takenoko, même si la mécanique est bien présente, là je vis une histoire. Dans les deux cas les jeux sont de toute façon excellents.
En fait, ce qui nous distingue peut être elle plus, c’est la notion d’interaction directe ou indirecte.
J’ai clairement un goût beaucoup plus prononcé que lui pour l’interaction directe !
Bref.. tout est question de perception, et chacun d’ailleurs pourra avoir sa propre grille de lecture des jeux des uns et des autres.
Et je dois aussi vous faire un terrible confession.. Concernant votre femme… je crois.. que je ne peux rien faire.. à part suggérer de changer d’épouse ??? ;-)
Ceci dit, si elle aime Petit Prince et Duel, tout n’est pas perdu..
(Note de l'intervieweur : Elle adore depuis Kingdomino)
Concernant ma collaboration avec Antoine, elle est étonnamment simple et sereine. Lorsque l’on bosse ensemble, les séances sont très courtes. Tout simplement comme si, au moment de la séance, nos cheminements intellectuels individuels s’étaient déjà rejoints et que, finalement, tout coule de source. Une évidence. C’est assez bluffant en fait. Et c’est aussi ce qui me fait dire qu’on n’est pas vraiment opposés.
Quant à la personnalité d’Antoine, aux qualificatifs ci-dessus, il faut aussi rajouter « généreux ».
11) Timothée Leroy me disait lors de son entretien beaucoup de bien de vous, et me parlait de votre générosité.
Dans un monde qui prône le capitalisme à outrance, l’individualisme, la gagne à tout prix, est-ce que cela vous semble une valeur nécessaire, voire primordiale à transmettre à nos enfants ?
Vous m’avez dit avoir 2 grands enfants, que vous n’aviez plus à la maison après votre divorce, quels ont étés les moyens pour vous de leur transmettre vos valeurs ?
Réponse à cette question et aux autres la semaine prochaine! ;-)
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