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d'événements ludiques
Jeux Viens à Vous Julien Delval
Ma correctrice et moi-même avons eu le même sentiment après l'interview de Julien Delval.
Il nous donnait envie de le rencontrer en vrai.
Un professionnel de grand talent, humble, sympathique avec un vrai discours sur son art : le dessin.
Julien Delval, auteur notamment des illustrations des Aventuriers du rail nous parle avec simplicité et amour de peinture, de ses illustrations pour le monde du jeu de société, de ses inspirations, de la solitude de l'artiste mais également de fantastique et de jeu de rôle.
1) Julien, bonjour, auriez-vous la gentillesse de vous présenter?
Bonjour Emmanuel, je vais commencer de manière un peu formelle alors.
Je suis né en 1972. Mes études se résument en un DEUG d'Arts plastiques, une année de prépa en atelier et trois années aux Arts Décoratifs de Paris. Et si je suis parisien, je vis et travaille dans une petite ville au bord de l'Atlantique.
Peintre-illustrateur depuis plus de vingt ans, j'ai commencé ma carrière dans le milieu du jeu de rôle avec l'éditeur Multisim. Puis j'ai illustré de nombreuses couvertures de romans.
Les rencontres que j'ai faites à cette époque m'ont amené à travailler pour l'éditeur Days of Wonder sur leur célèbre Ticket to ride, puis pour d'autres éditeurs de jeux, dont récemment Sand Castle Games pour Res Arcana. J'ai fait un petit tour dans la BD avec deux albums publiés chez Vents d'Ouest.
Depuis dix ans je m'éclate en peinture grâce au soutien de la galerie Daniel Maghen. J'ai pu développer avec eux mon univers onirique néoclassique de paysages et de créatures fantastiques.
2 A) Que représente pour vous l'illustration ?
Quand j'étais enfant l'illustration était très présente à la maison, nous avions beaucoup de livres, mes parents me les lisaient et je regardais les images. Les illustrations sont des histoires en premier lieu, elles doivent raconter.
J'ai dessiné à mon tour pour me raconter des histoires.
Les premières illustrations que j'ai vues étaient donc dans les livres jeunesse, j'ai vu du Maurice Sendak, du Claude Lapointe, du Quentin Blake, Tomi Ungerer, Beatrix Potter et tant d'autres. Puis il y a eu la BD, chaque case étant une illustration, le cinéma d'animation avec Disney, Grimault… J'étais abreuvé d'images et d'imaginaire.
Puis le plaisir esthétique et graphique est arrivé. Je me suis rendu compte de la qualité de certaines illustrations par rapport à d'autres et j'ai voulu imiter ces maîtres du dessin et de la couleur. Il y a bien sûr plusieurs niveaux dans l'illustration, de la simple mise en image d'un objet à une fresque complexe et narrative. C'est pour cela que c'est à la fois un artisanat et un art avec son savoir-faire technique d'exécution et son "je ne sais quoi de plus" que peut apporter l'artiste illustrateur.
2 B) Et que représente également pour vous l'art en général ?
Je n'aurais pas pu imaginer travailler dans un autre domaine qu'un domaine artistique. Mon environnement a fait que j'ai croisé des peintres, des sculpteurs (euses), des écrivains.
J'ai rapidement voulu être "peinteur-vendeur" comme je disais enfant.
L'art me permet de supporter ce monde, de m'inventer le mien. L'art représente pour moi un refuge. Je suis un contemplatif et je m'émerveille facilement. Maintenant pour réussir à trouver un public, pour trouver ce que j'avais à dire artistiquement, il a fallu du temps, du travail et l'opportunité de m'exprimer pleinement.
J'avais des facilités mais je faisais le minimum, je me suis mis à véritablement bosser vers 30 ans, quand je suis devenu papa.
3) Question qui se pose actuellement avec notamment le livre de Michel Lalet, Auteur de jeux de société, un art à part entière.
Considères-tu le jeu comme un art ou comme quelque chose d'autre ?
Je ne connais pas particulièrement le travail de Michel Lalet, je ne suis d'ailleurs pas un spécialiste du jeu de société. C'est un milieu que j'aime beaucoup, surtout pour les personnes qui y travaillent, et je joue avec plaisir mais je ne joue pas beaucoup. Maintenant la question est vaste.
Qu'est ce que l'art ?
Des gens y ont consacré des thèses et ce n'est pas moi qui vais donner la réponse. Mais je vais quand même essayer de donner mon sentiment concernant le jeu de société. Si on considère uniquement la partie visible du jeu, certains sont vraiment magnifiques. Mais le graphisme et l'illustration ne sont pas le jeu.
Je dirais que le jeu emprunte à l'art certains aspects : le théâtre pour le jeu d'improvisation, la littérature et la fiction pour des jeux à rôles et à scénario, l'architecture pour les jeux de construction, les plateaux, et donc l'art graphique pour la partie visible. Mais le jeu appartient beaucoup et surtout au monde de la logique, de la science, des mathématiques.
Sinon il y un terme que j'aime bien, et c'est pour ça que je suis attaché au jeu, c'est le terme d'art populaire. Je mettrais bien le jeu de société dans ce type d’art s’il fallait en faire un art. En tous cas je suis d’accord pour considérer qu’un jeu de société est une oeuvre de l’esprit, donc que leurs créateurs soient des auteurs.
4) Qu'avez vous besoin d'exprimer via votre art ? Des questionnements ? Un mal-être ? Des idées qui vous viennent subitement ? Un besoin créatif ?
J'essaye d'exprimer ce qui me transporte, me fait rêver. Je suis un contemplatif, mon but est de montrer la beauté des mondes que j'aime et m'y promener. Ces mondes magnifiques qui sont juste devant nous et d'autres plus cachés.
Je me situe dans la continuité des romantiques et des peintres de paysages avec une touche de fantastique et de mythologie. Coucher une vision sur papier est à la fois, pour moi, une envie maladive et une thérapie.
Créer, c'est fixer les choses et s'en extraire. Se raconter et s'échapper, faire émerger. C'est un besoin d'exister et une quête de la perfection. Donner du rêve et être remercié pour cela est une grande joie.
5) Vous parliez de continuité avec les romantiques et j'en étais effectivement convaincu.
Quelles sont vos bases artistiques et culturelles justement ? Vos mentors ?
Dans ma jeunesse, j'ai été marqué par Le triomphe de la mort de Brueghel, c'est resté un peintre important pour moi. Mais ensuite c'est plutôt Uderzo, Franquin, Bilal, Jacob, qui m'ont influencé et j'ai voulu faire de la BD, puis la Fantasy m'a embarqué avec Alan Lee, Brian Froud, Angus McBride, Iain McCaig, Frazetta…
Petit à petit, alors que l'on découvre sa famille artistique, se sont imposés Turner, Delacroix, Rubens, Bosch, les peintres de l'Hudson, Tiepolo et tellement d'autres. Mon père m'emmenait souvent dans les églises, pour l'architecture, les sculptures et peintures, j'en garde bien sûr quelque chose. J'ai eu aussi mon époque napoléonienne, les grandes peintures de batailles m'exaltaient. Tout ça pour conclure que même si je me situe dans un courant romantique de Fantasy néoclassique, mes influences sont multiples.
On apprend avec le temps à reconnaître les artistes que l'on admire (très nombreux) et ceux qui nous sont proches, à qui l'on peut emprunter telle ou telle facette, tel ou tel sujet et savoir-faire.
Nous nous mettons à nous tutoyer.
6) Ma prochaine question sera celle d'un pur amateur en peinture, donc si je me trompe n'hésite pas à me contredire.
Tu disais être marqué par des peintres comme Brueghel ou Bosch, qui à mon sens (de non initié) ont un style très dense, notamment en termes de personnages ou d'actions.
Tu as parfois ce style, par exemple dans une peinture que tu présentais dans une interview ici :
https://www.youtube.com/watch?v=tOyHqhoF4EY
Par contre, à l'inverse, des tableaux de paysages sont très "vides" en quelque sorte : un bateau au milieu d'une mer déchaînée ou au bord d'un précipice comme perdu, isolé, contrairement à d’autres personnages qui sont pris dans un ensemble très confus, dense, comme je le disais.
Comment expliques-tu cette différence de style, qui est encore très différent de ton travail au niveau du jeu de société - mais nous y viendrons plus tard ?
Ce n'est pas véritablement une différence de style, mais plus de sujet. Pour les paysages j'assouvis mon élan contemplatif, mes envies d'ailleurs, mais il y a le même souci du détail dans les ciels, les matières. Et le vent souffle toujours assez fort. C'est ce même souffle épique que j'aime mettre dans mes images de bataille ou de procession fantastique. C'est aussi l'occasion de dessiner des créatures, des chimères, des guerriers fantasmagoriques avec pour première inspiration, tu l'as dit, Brueghel et Bosch. Après c'est vrai que lorsque je dessine des sujets je suis plus "illustratif", mes crayonnés ne sont pas loin de dessins de bande dessinée.
J'aime faire des choses différentes pour ne pas m'ennuyer.
Le dernier départ
7) J'en viens donc à ton travail dans le monde du jeu de société, parfois complètement différent de ce que tu peux faire dans d'autres domaines, plus coloré, plus grand public.
C'est une demande spécifique des éditeurs ou as-tu naturellement adopté ton style pour le jeu de société ?
Peux-tu nous expliquer ton fonctionnement avec les éditeurs lors de ta collaboration pour l'illustration d'un jeu?
À l'époque, j'avais illustré pour le jeu de rôle, pour des couvertures de romans et pour de la jeunesse. Mon style était d'ailleurs assez jeunesse, c'est aussi dans ce domaine où il y avait du travail. J'étais en quête d'un style plus pictural, plus adulte, plus personnel, mais il ne viendra que plus tard.
Donc quand j'ai été sollicité pour le jeu de société, je n'ai pas particulièrement adapté mon style. Il a fallu par contre dessiner des locomotives et des gens en costumes plutôt que des dragons et des chevaliers. Mais cela était plutôt sympa. Par la suite il y a eu des pirates, des égyptiens, des soldats de la seconde guerre mondiale, etc. J'aime me plonger dans ces différentes époques et thèmes, j'apprends plein de choses. Il s'est trouvé que ce style marchait bien avec le jeu de société, j'ai toujours été fan des illustrateurs comme Pierre Joubert, Colbus, McBride. J'ai donc quand même accentué le côté coloré, joyeux, réaliste pour me rapprocher d'une illustration populaire (dans le bon sens du terme).
Maintenant, j'ai réduit ma présence dans le monde ludique pour pouvoir me consacrer plus à mon travail personnel. Je ne travaille plus que sur Ticket to ride et Res Arcana, et de temps en temps pour Mémoire 44 et Dominion et de petits jeux pour le fun, ce qui est déjà pas mal, tu me diras. Avec Days of Wonder, c'est assez balisé maintenant. Le directeur artistique et graphiste, Cyrille Daujean (DA de Sand Castle Games aussi), est un vieux copain (c'est grâce à lui que j'ai commencé à travailler). D'habitude on en parle au téléphone, puis je reçois un brief plus précis, on commence souvent par la couverture. Apres validation des crayonnés, je passe en couleur. Idem pour cartes et plateaux. Après il peut y avoir des rajouts, des corrections. Ce qui est important, c'est que la maquette soit à peu près fixée.
Dans le jeu de société, un bon graphiste me paraît beaucoup plus important qu'un bon illustrateur. L'illustrateur doit savoir comment son image sera placée, s'il y aura un texte par-dessus, ou un chiffre, un symbole. Il doit connaître la couleur des contours, le format, ou en avoir au moins discuté. Je vais toujours à reculons dans un projet où l'éditeur ne sait pas trop ce que sera son jeu visuellement au final, c'est l'assurance de corrections interminables.
8) Sans forcément citer des noms, tu as regretté d'avoir collaboré avec certains éditeurs ? Et qu'est ce que cela engendre chez toi : de la frustration, de la colère que ton expertise et ton savoir-faire ne soient pas pris en compte ?
Je n'ai jamais eu de véritable mauvaise expérience. Il est arrivé avec des éditeurs étrangers d'avancer à tâtons et de changer les choses en cours de route. Et alors je travaille plus que le budget ne le prévoit, mais en général je ne rechigne pas à faire des corrections et à accepter les modifications, cela fait partie du job.
Maintenant que j'ai la possibilité de m'épanouir avec mes projets personnels, je suis moins regardant sur la façon dont mes illustrations de commandes sont utilisées, par contre j'essaie de les faire le mieux possible. Pour qu'on me mette en colère, il faudrait vraiment pousser le bouchon.
9) Du coup peux-tu expliquer à mes lecteurs le fonctionnement qui s'opère entre un illustrateur et un éditeur ?
Es-tu payé à la couverture, au nombre de dessins réalisés? Au nombre de dessins acceptés ou publiés? Ou (je suis naïf...) au temps passé pour réaliser tes oeuvres?
Acceptes-tu, afin de donner une idée aux gens de comment vit un illustrateur, de donner un tarif de ce que cela coûte par exemple pour une couverture de livre de jeu de rôle et de ce qui te reste à la fin du mois pour vivre ?
En début de carrière et peut-être maintenant que tu es plus établi.
Je me permets de te poser cette quesion que peut-être certains trouveront indiscrète, mais essentielle à mes yeux, dans le sens où l'on parle très souvent de la rémunération des illustrateurs. Tes collègues disent souvent être très mal rémunérés, qu'on leur demande de réaliser des affiches gratuites pour "se faire connaître » etc. et qu'au final leur talent n'est pas reconnu à sa juste valeur.
Je reconnais avoir moi-même demandé cela dans le passé, quand j'ai débuté dans le monde du jeu, car il est difficile de monter des projets associatifs ou non avec très peu ou pas du tout d'argent.
2 acteurs d'un même monde (l'univers ludique) qui ont envie de collaborer, de créer des projets comme un jeu de société, mais qui pourtant n'ont pas fforcément les mêmes buts à atteindre.
Acceptes-tu de répondre à cette question, je m'en excuse d'avance à la fois longue et compliquée?
Oui, et je ne pense pas pouvoir répondre à tous les aspects.
Mais pour commencer avec le début de ta question : la manière de calculer la rémunération est variable.
En général c'est un forfait quand il s'agit d'illustrer un jeu complet. Certains éditeurs demandent un devis. Je peux ajuster celui-ci selon l'importance de l'éditeur, la portée du jeu, le nombre de traductions envisagées, la complexité des images et, oui, le temps que je pense prendre pour le faire.
D'autres éditeurs ont un budget précis, à l'illustrateur alors d'adapter son travail en fonction de celui-ci. Pour une couverture (de jeu, de roman, de JDR) selon la taille, je facture entre 500 et 2000 €, plus pour une licence mondialement connue. Une carte, c'est entre 100 et 200 €. Un plateau, selon sa complexité, c'est entre 1000 et 2000 €. Tous les éditeurs ne pratiquent pas les mêmes tarifs : certains proposent moins, mais avec plus de droits d'auteurs sur la vente. Pour ma part, je préfère un fixe avec un paiement supplémentaire pour un retirage.
A mes débuts, ce n'était pas les mêmes tarifs, on ne me demandait pas la même qualité non plus et j'étais encore étudiant. Je devais gagner 1000 € par mois, puis avec les années, cela est monté. En multipliant les commandes, je devais être autour de 2000 € par mois. J'ai eu la chance de me trouver en pleine période Fantasy, Harry Potter et le Seigneur des anneaux cartonnaient au cinéma et les éditeurs ont multiplié les publications.
Puis le jeu de société a pris l'ampleur qu'on connaît. En travaillant en traditionnel, j'ai pu aussi augmenter mes revenus en vendant des originaux. J'ai longtemps gagné plus ou moins 3000 € par mois, aujourd'hui, à presque 50 ans, je dépasse ce chiffre et vis très correctement.
Séance de dédicace
C'est difficile d'évaluer sa "juste" valeur, il y a de plus en plus d'illustrateurs sur le marché et des bons. En tout cas, tout travail mérite salaire et faire un dessin en est un. J'accepte, mais rarement, pour des personnes que je connais bien, de réaliser des petites affiches pour un tournoi par-ci par-là gratuitement, mais il faut vraiment que cela ne me prenne pas beaucoup de temps.
Certains festivals de l'imaginaire commencent à rémunérer les intervenants artistes, auteurs et autrices, c'est une bonne chose. Je ne suis pas pour les dédicaces payantes par le public mais les organisateurs doivent comprendre que c'est un travail. Un festival sur un week-end nous empêche d'être sur notre table à dessin quatre jours en fait, le temps de s'y rendre et de s'en remettre. Les artistes travaillent tous les jours. Si je participe à quelques évènements, c'est parce que rencontrer le public et lui apporter du petit bonheur avec une dédicace ou une discussion est très agréable, ainsi que de partager avec les autres acteurs du jeu que sont les associations, boutiques, ludothèques.
Sortir de notre solitude et voir les collègues, copines et copains est aussi une grande motivation.
10 A) C'est compliqué cette solitude de l'illustrateur?
Certains de tes collègues m'ont dit se réunir à plusieurs dans des ateliers pour combattre cette solitude. Y as-tu pensé pour ta part ? Travailles-tu de chez toi ou loues-tu un local afin de pas rester constamment enfermé?
Non ce n'est pas « compliqué". Quand on fait ce genre de métier, il faut aimer la solitude et c'est mon cas. Ma compagne travaille aussi à la maison, donc je ne suis pas seul. Mais c'est vrai que ça fait du bien de voir du monde, des personnes qui ont les mêmes intérêts, avec qui on échange sur les réseaux ou pour le travail. J'habite une petite ville et c'est une bonne chose pour avancer mes projets, si j'habitais encore à Paris, je serais trop sollicité et tenté par des sorties qui m'éloigneraient de la table à dessin. Je n'ai jamais essayé l'expérience d'atelier à plusieurs, je pense que cela ne me conviendrait pas. Se mettre au boulot est la chose la plus difficile, une fois que c'est lancé, à l'inverse, c'est dur de s'arrêter.
10 B) Peux-tu nous raconter un peu ta manière de fonctionner au quotidien ? Peinture, répondre aux mails des éditeurs, répondre aux questions compliquées des intervieweurs...
Je me lève relativement tôt. Je m'occupe de l'administratif, de répondre aux mails et interviews :-), de faire un tour des réseaux. Puis je m'occupe des choses de la maison quand il y en a à faire, courses, travaux …
Sinon je me mets au travail jusqu'à 13h en privilégiant les commandes. Ensuite, bonne pause déjeuner. Je bosse à nouveau de 15h30 à 19h30. Je travaille aussi assez souvent le week-end, sauf s'il y a une sortie ou autre activité familiale.
11) En parlant d'activité familiale, qu'est ce que cela a changé dans ta vie d'être père ? Que ce soit humainement, mais également professionnellement?
Ta façon de peindre ou tes sujets ont-ils changé ?
Forcément être père change pas mal de choses. Cela donne une nouvelle responsabilité et je me suis mis plus sérieusement au travail. Ma compagne aussi m'a poussé à faire des créations plus personnelles.
Un enfant oblige à avoir un rythme de vie, les plages de travail sont devenues plus régulières et plus longues. Il n’y a pas eu de changement radical de ma manière de peindre, cela s’est fait petit à petit.
12) Parlons fantastique si tu le veux bien.
Est-ce que tu sais ce qui t'as amené à développer cet imaginaire fantastique ?
C'est pour toi une manière de te défaire à certains moments du morne quotidien ? Tu y trouves un plaisir autre que des illustrations qui s'ancreraient vraiment dans notre réalité ?
Enfants nous avions beaucoup de livres à la maison et mes parents nous racontaient beaucoup d'histoires. Mon père était poète et écrivain, et ma mère est autrice et traductrice de littérature jeunesse spécialisée dans le fantastique et la Fantasy. Ils étaient aussi très cinéphiles. J'étais donc baigné dans la fiction. J'ai été rapidement fasciné par les mondes imaginaires et fantastiques.
En voyant Jason et les Argonautes, les contes version Disney, Dark Crystal, Excalibur, les films en noir et blanc comme La Belle et la Bête, Les Chasses du comte Zaroff, Alexandre Nevski, King Kong, Metropolis…
Je ne suis pas un grand lecteur mais c'est la science-fiction qui m'a apporté mes premiers plaisirs de lecture, puis la Fantasy. Nous avions aussi une belle collection de BD avec Bilal, Tardi, Druillet…
J'ai donc prolongé le plaisir en le dessinant. C'est sûr que c'est un moyen d'échapper au quotidien.
Peindre ou dessiner dans ces univers avec une musique inspirante entre les oreilles m'entraîne loin, pour goûter par moment à l'exaltation d'un souffle épique ou à une plénitude contemplative.
Mais le dessin c'est aussi l'occasion de mieux regarder le monde, de se documenter pour voir comment les choses fonctionnent, de s'intéresser à l'histoire, aux costumes, à l'architecture, à la botanique et aux animaux, etc. Donc on s'ancre toujours dans la réalité, puis on essaye de la sublimer.
Les Acanthes
13) En parlant de mieux regarder le monde, tu as illustré une bande dessinée que je n'ai pas encore eu l'occasion de découvrir, Les petits soldats, une histoire qui se passe durant une guerre entre deux pays imaginaires, si j'ai bien compris. Souhaiterais-tu nous en parler?
Quel plaisir retiens-tu de cette expérience et souhaiterais-tu la renouveller avec éventuellement un thème que tu aimerais aborder?
Cela faisait de nombreuses années que je voulais réaliser une bande dessinée mais je ne trouvais pas le bon projet. En 2010 j'ai demandé à mon camarade Jean-Paul Krassinsky, auteur de BD et grand dessinateur, si cela lui dirait de faire un album avec moi. Il en est sorti Les petits soldats. J'avais envie de monde baroque à la baron de Münchhausen, nous sommes partis de crayonnés de personnages en perruque. Il a ensuite écrit de son côté et mis en scène l'ensemble en rapide storyboard. Je n'ai eu plus qu'à me concentrer sur le dessin, en couleurs direct.
C'était un long travail mais très intéressant et formateur et je suis très content du résultat.
Maintenant, si je faisais à nouveau de la BD, j'aimerais bien en être l'auteur. Un jour peut-être. Le thème de la guerre m'intéresse pas mal, entre horreur et fascination. J'ai des visions de mondes fantasmagoriques, de post-apocalypse renaissance. Sous forme peut-être d'un long poème, d'un chant…
Façon Ulysse ou La Divine Comédie ?
Oui, mais plus accessible.
13 ) Pourrais-tu d'ailleurs nous parler d'un auteur ou d'une œuvre importante à tes yeux, que ce soit en littérature, théâtre, cinéma, jeu, etc. que tu souhaiterais faire découvrir ou redécouvrir à mes lecteurs, qui aurait changé ta vie ?
Il y en a beaucoup mais je vais évoquer plusieurs œuvres reliées les unes aux autres qui sont importantes pour moi pour ce qu'elles ont déclenché.
Alors que j'étais en école primaire, nous sommes allés voir au cinéma Excalibur de John Boorman (on n'emmènerait plus des classes de cet âge voir ça). Cela m'a durablement marqué et particulièrement ce passage ou Arthur galope avec ses chevaliers et que la terre renaît sur O fortuna du Carmina Burana de Carl Orff. Musique tellement épique et exaltante, pour laquelle Philippe Druillet a réalisé toute une série d'images projetées sur le fronton du théâtre antique d'Orange. Ces cantates correspondent bien à son univers.
Ce qui m'amène à parler de son adaptation de Salammbô, BD qui était dans la bibliothèque de mon père. Tout n'y est pas réussi, mais il se dégage de l'ambiance générale quelque chose de puissant, de fou, de libre. J'aimerais réaliser ce genre d'opéra baroque dans mon propre style. La musique est le premier déclencheur de vision, puis le texte.
A ce titre le micro-opéra L’empire de Toholl de William Sheller m'a définitivement ancré dans les mondes imaginaires de Fantasy, tant je voulais ressentir cette sublimation.
Et la boucle est bouclée quand Sheller chante Excalibur dans un clip enluminé par Druillet.
14) Pourrais-tu nous parler de deux personnes du monde ludique, l'une pour ses qualités professionnelles, et l'autre pour ses qualités humaines, l'un n'enlevant rien à l'autre et vice versa ?
Il y a plein de personnes super et que j'apprécie dans le monde du jeu, mais naturellement les deux personnes qui me sont le plus proches sont celles que je connais depuis des années et avec qui je travaille. J'ai déjà évoqué Cyrille Daujean, que j'ai rencontré à la fac. Il est aujourd'hui directeur artistique et graphiste pour Days of Wonder et Sand Castle Games, dont il est un des créateurs. C'est mon copain, donc forcément quelqu'un de bien ;-) mais c'est aussi un grand pro. Il maîtrise tous les détails et la chaîne de la production graphique et connaît le monde du jeu parfaitement. Si tu observes bien les éléments graphiques des jeux dont il s'est occupé, tu verras un tas de détails minuscules, comme des matières, des motifs en filigrane, des éléments incrustés, etc. Grand expert en logos, icônes et typographie, il se soucie toujours de la jouabilité du jeu.
La seconde personne est Adrien Martinot, il est le directeur de Days of Wonder. Je l'ai rencontré à l'occasion d'évènements dans des boutiques de jeux, de soirées jeux chez Bruno Faidutti ou chez Cyrille, il y a des années. C'est une crème mais aussi, j'imagine, un bon manager, dur homme d'affaires et expert en jeux, évidemment, pour être là où il est arrivé. J'ai une confiance réciproque avec ces deux-là. Nous sommes des grands enfants mais très matures dans nos vies professionnelles, qui se complètent.
15) Tu as illustré dans Casus Belli et également des ouvrages de jeux de rôle.
C'est un milieu qui t'a permis de faire tes armes. En étais-tu particulièrement proche ou était-ce simplement une opportunité professionnelle ?
Alors que je commençais à découvrir la Fantasy, je passais chaque jour devant une boutique près du lycée. Il y avait en vitrine des tas de figurines fantastiques et des ouvrages avec des couvertures qui m'attiraient.
Je ne connaissais pas le jeu de rôle et aucun de mes amis n'en faisait. J'ai juste compris que c'était dans ce milieu que je pourrais et aimerais publier des illustrations. Je me suis donc mis à réaliser des illustrations de Fantasy pour monter un book, puis plus tard Cyrille, qui lui était rôliste, m'a fait rencontrer les gens de Multisim et de Casus Belli. Je n'ai jamais été rôliste, j'ai dû faire une partie ou deux. Je crois que de me plonger dans ces univers par le dessin et l'esprit me suffit pour vivre des aventures.
Donc cela n'a pas été un hasard que je me retrouve dans ce milieu, milieu qui m'est proche et lointain en même temps.
Agone, jeu de rôle
16) Le jour où tu devras quitter le monde du jeu, d’une manière ou d’une autre, que souhaiterais-tu que l’on retienne de toi, professionnellement mais surtout humainement ?
Quand ce sera "game over" tu veux dire. En tant qu'artiste j'ai la chance de croire que mes images me survivront, au moins un temps. Si elles peuvent continuer à faire rêver des gens, ce sera déjà très bien. Pour l'instant, occupons-nous des vivants. J'essaye d'être un homme bon, c'est maintenant qu'il m'importe que les gens le pensent. J'espère aussi que l'on se souviendra de mes défauts, ça veut dire que j'aurai eu des proches.
17) Julien, c'est malheureusement la fin de cet entretien. En prenant en compte ta vie professionnelle et personnelle, es-tu heureux ?
Je ne vais pas me plaindre. Je me lève tous les matins pour faire ce que j'aime et j'en mesure la chance. Bien sûr il y a des fêlures, quelques craquelures dans le tableau, des perspectives pas très justes et des zones d'ombres, mais le peintre est plutôt heureux du résultat. Je me répète mais je suis un contemplatif, la vie et le monde m'offriront toujours de quoi m’émerveiller.
Merci pour cet entretien, ça prend un peu de temps mais c’est intéressant. Si tu as une ou deux questions que tu as oubliées ou que tu aurais aimé poser, n’hésite pas.
Je te retourne la question Julien, aurais-je oublié un sujet dont tu souhaiterais parler ?
Pour moi c’est tout bon. Si tes lecteurs veulent en savoir plus, tu peux toujours les orienter vers ce petit recueil d’entretiens et d’échanges.
https://www.liberdistri.com/fr/accueil/270-julien-delval-entretiens-9791096315482.html
Merci beaucoup.
Au plaisir de se rencontrer en vrai !
Merci à toi Julien pour ta gentillesse et au plaisir également.
Pour ceux qui souhaiteraient soutenir mes entretiens, voici ma page tipeee, même un petit geste fait plaisir et vous pourrez contribuer à d'autres interviews réalisés sur des festivals (Cannes, Paris est ludique, Essen...) :
Merci à mes Tipeeeurs de me soutenir : Arnaud Urbon, Bruno Faidutti, Emilie Thomas, Nicolas Soubies ,Virgile De Rais, Pierre Rosenthal, et Ludikam!
Pour ceux qui souhaiteraient découvrir les précédents entretiens, mes animations ou suivre ma page facebook :
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Saison 1
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Bruno Faidutti 2ème partie
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Nadine Seul 2 ème partie
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Jérémie Fleury Tome 1
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