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Jeux Viens à Vous Jean-Louis Roubira 1 ère partie

« Le rêve devient primordial quand s’achève le temps de l'adolescence ».
Il y a un peu de ça en toi Jean-Louis. Tantôt irritant, tantôt attachant, tu arpentes tes rêves comme autant de quêtes d’impossibles probables. Ton sourire gauche cache une fragile timidité, qui, il faut l’avouer, ne rend pas toujours hommage à la mystique de l’homme.
Car mystique tu l’es ; t’interrogeant sans cesse sur le sens de ce qui t’entoure, de ce qui t’anime. Tu es de ceux qui laissent les certitudes aux autres, y préférant la beauté brute et sauvage d’un inconnu désirable.
Alors merci Jean-Louis de nous faire inlassablement partager tes rêves. Dans ce monde empli de pragmatiques de tous poils il est bon de t’avoir comme compagnon de route.


Régis Bonnessée spécialement pour l'entretien Jeux Viens à Vous de Jean-Louis Roubira

 

Que rajouter après cela? 
Ces mots merveilleux de Régis révèlent l'extrême sensibilité que j'ai pu ressentir lors de mon entretien téléphonique avec Jean-Louis. 
Un homme discret, intelligent, sensible et j'oserai le dire un homme bon. 
Bon en tant que pédiatre car son humanité et ses valeurs se révèlent au fil de l'entretien, son entièreté, bon en tant qu'auteur car contrairement à ce que l'on pourrait croire il n'est pas l'homme d'un seul jeu, d'une seule idée... 

Evidemment l'auteur de Dixit, assume complétement le succès, en rigole même.



Dans cette première partie, nous parlons de sa vision de jeu, évidemment de Dixit et son succès international, de son métier de Pédopsychiatre, de la psychiatrie, des traitements, des patients, et de toutes les conséquences que les situations rencontrées peuvent engendrer chez un soignant,




1) Jean-Louis Roubira, bonjour, auriez-vous la gentillesse de vous présenter ?

 

Jean-Louis Roubira, 54 ans, je suis pédopsychiatre à temps partiel maintenant. J'ai crée quelques jeux comme Dixit par exemple, Feelings également qui était jusqu'ici pour les professionnels mais qui va sortir au niveau du grand public. J'habite Poitiers, j'ai 2 enfants qui sont grands maintenant. Je travaille toujours avec la société d'édition Libellud pour des extensions de Dixit, une fois par an. Que dire d'autre?

 

 

2) Que représente le jeu pour vous ? Le fait de jouer, mais également de faire jouer ?

 

Le fait de jouer cela remonte à la petite enfance. Je me rappelle avoir toujours joué, seul jusqu'à 5 ans quand je n'avais pas encore de frère et sœur, mais aussi les jeux de plein air, avec les copains, surtout les jeux d'imaginaire, de création, de construction. Plus tard ça été les jeux habituels : les jeux de cartes, les échecs...


Au lycée ça été la rencontre avec d'autres passionnés de jeux, ça été le jeu de rôle et les wargames notamment, pas de manière passionnée mais j'y ai touché un petit peu, c'était la grande mode à l'époque.
Puis les jeux de société, les jeux de stratégies....c'était une façon de rencontrer des gens, de partager des choses fortes avec des personnes proches.

 

Faire jouer... Ca peut être de faire jouer des personnes non joueuses, faire jouer des enfants.
Dans ma période jeu de rôle, j'étais plutôt maître du jeu, j'adorai construire des scénarios, imaginer des univers, faire évoluer les autres dans ces univers, endosser un personnage avec un sentiment de liberté mais également mêlé de contraintes d'univers..
Beaucoup de plaisir à jouer et à faire jouer.

 

Plus de plaisir à …. (réfléchit) , oh non je crois que j'ai autant de plaisir pour les 2 en fait !
Faire jouer, c'était ensuite mes enfants, je les utilisai comme cobaye pour mes protos, car il y en a eu beaucoup, mais ils y prenaient du plaisir...jusqu'à un certain âge, où adolescents ils commençaient à me dire :
«  Bon là papa....on a d'autres choses à faire ! » (Rires)

Ils ont pris un peu des distances avec le jeu et là ils y reviennent actuellement et même de façon prononcée puisque ma fille est entrain de faire sa licence pro de ludothécaire et elle travaille dans une ludothèque. Je sais pas s'il y a autre chose à dire...

 

C'est déjà très complet !

 

3) Vous avez connu un énorme succès avec Dixit, un succès comme peu d'auteurs en connaissent. 3 A) Tout d'abord vous considérez vous comme un véritable auteur ou bien est ce l'exception qui confirme la règle dans votre vie, bien qu'il y est également Feelings, mais toujours crée dans un but professionnel ?

 

Pas tout à fait !

 

Dixit je l'ai crée en 2002, vraiment pas dans un but professionnel, j'avais adoré étudiant le jeu du dictionnaire, et j'adorai tout ce qui tournait autour de la langue française, du sens, des jeux de mots, des néologismes, inventer des choses en fonction de ce que l'on ressent, ce qu'un mot peut faire résonner, comment il peut faire rêver...

J'ai toujours rêvé de faire un jeu dans cette veine là.

 

Et 10 ans plus tard, j'ai eu l'idée d'associer cela avec l'univers des images car j'étais également passionné d'images, j'ai toujours adoré regarder tout ce qui est iconographique, des tableaux, des affiches publicitaires ou d'expositions, des cartes postales, les photos aussi.... Les images fixes qui peuvent faire rêver et voyage ! Et à un moment donné j'ai allié les 2 et une thématique est sortie Mais c'était vraiment pour jouer entre amis ou en famille, pas dans l'optique du travail.

 

3ans après, comme je travaillai dans un endroit avec des adolescents, il y a eu une recherche sur le langage et les expressions, la directrice savait que j'avais déjà crée des jeux m'a demandé si j'aurais un jeu comme support d'expression. C'est là qu'il a été inclus dans cette recherche. A partir de là, il est devenu un outil de médiation pour travailler avec les adolescents ayant différents problèmes. Pour en revenir à la question de départ... Ah oui je n'ai pas répondu à la question de départ !

Jean-Louis, Partajeux et Marie Cardouat

 

Vous avez un métier très prenant, médecin, vous avez publié peu de jeux, est ce que du tout vous vous considérez comme un véritable auteur ?

En fait, tout dépend, ce qu'on considère comme un auteur. Est ce que c'est quelqu'un qui va créer beaucoup de jeux et les faire éditer comme les auteurs connus ou est ce que c'est quelqu'un qui a beaucoup d'idées mais qui ne va pas forcément les mener à terme ? Dans ce second cas, je dirais que je suis un auteur. Mais qui produit très peu de jeux finis, mais énormément de jeux non finis ! (Rires)

 

Là je viens de déménager, j'ai une pièce entière consacrée à tous les protos...y en a des centaines ! Depuis 20 ans...30ans... Donc si on considère cette production, je dirais que je suis un auteur. Après je n'ai pas cette capacité qu'ont certains auteurs de pousser les protos au bout, y en a beaucoup qui marchaient bien, qui étaient appréciés, mais les choses ne se sont pas faites pour différentes raisons.

 

Par manque de temps ? Par volonté ?

 

Je crois que j'ai été moi-même dépassé par ma propre productivité ! Quand un jeu était fini, une autre idée arrivait, et soit il tombait entre les mains de quelqu'un qui allait les pousser pour les finaliser, soit il restait un peu lettre morte... Les protos avaient tournés sur des festivals, les gens avaient aimé mais à un moment donné j'ai besoin de tourner la page. Il y a des gens qui disent que je ne suis pas un auteur car Dixit est un jeu un peu à part, Feelings aussi. Je suis également créateur de musique, compositeur et auteur de musique. Certains disent que je suis plutôt créateur au sens général, pas auteur de jeux... après tout peu importe !

 

 

3B) Comment avez-vous vécu ce succès, avez vous eu besoin de vous tenir à l'écart car j'ai l'impression que vous êtes très discret dans le monde ludique?

 

En fait le succès de Dixit, il m'a fait rentrer dans le monde du jeu. Je le fréquentai un peu en marge, je m'y suis intéressé au niveau créatif dans les années 80/90, j'habitais à Sète dans l'Hérault, j'ai fait mes études à Montpellier, et après j'ai réussi mon concours j'ai été nommé à Poitiers , c'est à 45 minutes de Parthenay donc dès 1992 j'étais à proximité du FLIP ( Festival ludique international de Parthenay) et effectivement ça m'a permis de découvrir ce monde , de rencontrer des auteurs etc...

J'avais participé à l'époque au concours de créateurs de la ludothèque de Boulogne , dont un qui a été primé, un jeu stratégique à 2 joueurs qui s'appelait Jericho. C'était un petit monde que j'aimai bien, j'avais entendu parler d'auteurs « mythiques » pour moi, comme Roberto Fraga, Dominique Ehrhard... Le fait de gagner des prix, d'aller à Cannes, à des salons, ça m'a donné une place de choix je dirais dans ce monde là, j'allais à pas mal de festivals, au Canada, en Espagne... Moi je l'ai vécu comme un cadeau, un vrai cadeau de la vie ! Je l'ai vécu dans l'euphorie ! (Rires)

 

Oui j'avais envie d'avoir ma place dans ce monde là, d'y apporter ma touche un peu personnelle. Après, effectivement je ne suis pas quelqu'un à l'aise en société, je reste toujours un peu en marge. Je préfère être, je dirais pas pas dans ma tour d'ivoire, mais dans mon atelier de création, dans l'ombre créatrice plutôt que d'être dans la lumière des sunlights ! (Rires) 

 

Les réseaux sociaux ça m'a permis d'être contacté par des gens en France ou à l'étranger, même pour des projets très intéressants, mais j'en avais un peu fait le tour et vu les limites, donc voilà... Ca permet ensuite de resituer les choses à leur place, celles importantes et celles moins essentielles ! J'ai quelques amis dans le monde du jeu, j'en ai pas beaucoup mais j'ai plaisir à les rencontrer

 

 

3 C) Comment vos proches, famille, amis ou collègues ont t-ils perçu ce phénomène ?

 

Le jeu a quand même tourné 6 ans, mes proches ont évidemment été mis à contribution et beaucoup jouer et aussi les non joueurs comme dans ma famille ou ma conjointe qui n'était pas du tout joueuse. Je voyais les accrocher à ce jeu, on sentait bien qu'il y avait du potentiel important car même les non joueurs s'y mettaient et ils avaient vraiment envie d'y rejouer.

Les enfants, je crois que oui, ils ont eu conscience de ce qui se passaient autour du jeu, ils voyaient bien mon enthousiasme, ils ont pris une part active, ils ne m'ont pas accompagné sur chaque salons mais ils ont été des ambassadeurs du jeu autour d'eux, ils l'ont fait connaître à leurs amis... Je dirais que ça été une aventure un peu collective , familiale, tout le monde a pris sa part de cette histoire.

 

Parfois c'était un peu irréel...au début du succès de Dixit où quand j'allais voir Régis, il me disait « Ah tiens on a eu un prix dans tel pays.. » et puis un mois d'après : « Ah tiens on a eu un prix dans tel pays ! » (Rires)
On commençait pas à être blasé mais quand y avait 3 mois sans prix, on se disait « Mince qu'est ce qui se passe!? » (Rires)

J'étais conscient que quelque chose d'exceptionnelle se passait...

Festival de Gdansk

 

4) Vous êtes pédopsychiatre dans différents secteurs : CMP (centres médico-psychologique), hôpital de jour pour enfants, et comme psychiatre de liaison en périnatalité (maternité et service de néonatalogie du CHU de Poitiers), établissement éducatif (CEFORD), accueillant des adolescents en rupture scolaire, avec souvent de graves troubles des conduites. 
Souhaiteriez-vous nous raconter ce qui vous a fait opter pour ce choix étant plus jeune ?
Ce que vous connaissiez ou croyait connaître du métier avant de débuter dans vos études et ce que vous avez découvert lors de votre arrivée en fac de médecine., mais surtout lors de votre premier stage en milieu hospitalier ?


Tout d'abord, je suis actuellement en disponibilité pour l'hôpital depuis 2011.
Je travaille un jour par semaine, dans un établissement pour des adolescents en rupture scolaire et avec des problèmes de délinquances.

Je n'ai pas fait des études de médecine après le bac, j'ai tout d'abord fait une année de prépa en maths sup', je me suis rendu compte que c'était pas vraiment mon truc donc j'ai laissé tomber. J'ai passé ensuite différents concours car je ne savais pas trop ce que je voulais faire, j'ai eu le concours d'instituteur à Montpellier, a l'époque cela se faisait en 3 ans, des études très intéressantes, beaucoup de culture générale, de sport, de stages dans les écoles, ça me plaisait beaucoup mais au bout de ces 3 ans je crois que je n'ai pas eu envie de continuer dans cette voie là. Je n'étais pas prêt à entrer dans la vie active.

La médecine me taraudait depuis le lycée, mais je n'avais pas franchi le pas. Différents facteurs ont fait que j'ai décidé de me lancer en fac de médecine. Des facteurs familiaux, mes 2 parents sont instits... donc il y avait un certain atavisme familial qui faisait que... (Rires) , j'ai voulu ensuite m'émanciper de cette influence familiale.

 

La médecine c'était aussi, une manière inconsciente de soigner des gens proches... Au début comme beaucoup d'étudiants, c'était plus la médecine humanitaire qui m'intéressait, aller aider des populations en détresse mais en France on a déjà pas mal de travail à faire...

 

J'avais aussi une soif de connaître comment fonctionnait l'humain : l'anatomie, la physiologie, la biologie moléculaire, la génétique... Au bout de quelques années, j'ai commencé à faire des stages, toujours très intéressants, on apprend l'humain en fait. On voit des personnes dans leur fragilité, et cela me plaisait beaucoup d'être là pour donner du soin à ces personnes.
Cette apprentissage c'est un peu comme une enquête...ça demande des qualités d'enquêteur, trouver des signes, les regrouper, se consulter les uns les autres, mettre en place des examens complémentaires, avoir des hypothèses, vérifier... Y a peut être aussi un côté ludique là-dedans...

 

Oui...

 

Après avoir fait le tour de tout ce qui est anatomie, biologie...tout ce qui compose la matière en fait, je me suis plus intéressé au psychisme. Je me suis rendu compte que les spécialités réduisaient le focus sur des organes...et ça ne me plaisait pas trop ça...j'avais envie de rester dans une vision globale de l'humain qui prenne en compte à la fois le somatique, mais aussi le psychisme, le social...Tous les aspects de l'humain en fait !

 

Au moment des spécialités en tant qu'interne, j'ai fait mon premier stage aux urgences psychiatriques, on accueillant des gens ayant fait une tentative de suicide ou ayant des pathologies très lourdes... Ca été une école vraiment très intéressante.

 

A partir de là, j'ai eu l'envie d'aller explorer du côté de la psychée humaine, de la souffrance et de tisser des liens entre justement la souffrance psychique et les manifestations du corps, l'un n'allant pas sans l'autre.
J'ai passé les concours de l'internat, j'étais pas hyper bien classé mais ça m'a permis d'avoir un poste en psychiatrie sur Poitiers.
La première année j'ai eu la chance de travailler avec un psychiatre qui avait une formation psychanalytique, ce qui était rare sur Poitiers, avec une approche très humaine des patients et cela m'a fait découvrir un univers que je ne connaissais pas du tout, qui m'a passionné. Très rapidement on était mis en situation, on suivait des patients, on prenait des décisions donc c'était vraiment super.

 

On avait l'obligation durant nos études de réaliser des stages en pédopsychiatrie, donc de travailler auprès des enfants et des adolescents, et cela me faisait très peur ! Presque une hantise... En psychiatrie adulte, j'ai été dans des services un peu ancien, où l'on voit des choses qui sont lourdes, très lourdes... Je me disais travailler avec des enfants...ça me faisait vraiment peur ! Mais on avait pas le choix, fallait le faire ! (Rires)

J'ai fait mon premier stage à Niort dans un service d'adolescents qui étaient hospitalisés car ils avaient de gros soucis...et là ça été la révélation !

Une double révélation en fait :

 

La révélation de travailler avec des ados, qui est en fait d'une richesse extraordinaire, et malgré leurs grandes souffrances ils avaient en eux des trésors et des potentiels inouis ; que l'on pouvait leur apporter beaucoup si on les aidaient à canaliser toute cette énergie.

 

La deuxième révélation ça été la maternité, où j'ai rencontré une psychologue qui organisait des réunions pour les mamans qui sortaient, avec leur bébé, parfois les papas, afin de parler de toute la problématique autour de la grossesse, de l'enfantement, de la maternité, de la paternité...ça été une révélation extraordinaire...et à partir de là j'ai toujours travaillé en maternité.

 

Un métier que j'adore, même si j'ai arrêté l'hôpital. J'ai arrêté à la suite du prix allemand Spiel Des Jahres et la nécessité de faire une extension de Dixit par an, c'était un travail important qui prenait 6 mois par an depuis 2010... et puis j'avais l'envie de me lancer dans d'autres passions, je voulais explorer à fond la composition musicale...

Une partie de Dixit au festival de Gdansk

 

 

5) Pour avoir travaillé en tant qu'infirmier aux urgences psychiatriques, je sais que l'image de la psychiatrie auprès du grand public est très mauvaise, pour de bonnes et mauvaises raisons. Pour en avoir parlé avec des collègues d'un certain âge, la psychiatrie a énormément changée ces dernières décennies.
5 A) Qu'avez vous vu évoluer personnellement durant vos années d'exercice ?

 

Aie aie aie ! (Rires)

Je vais tenter de résumer et de ne pas m'étendre sur le sujet car on pourrait dire beaucoup et je veux pas faire celui qui est un peu rabat-joie ! (Rires)

 

Quand j'étais externe en médecine à Montpellier, je suivais l'enseignement d'un ancien mandarin qui était une personnalité exceptionnelle qui était maniaco-dépressif, il était sous Lithium, mais il était d'une compétence incroyable. C'était l'ancienne école, il nous a vraiment enseigné la clinique au pied du patient, presque à goûter l'urine, à sentir, à regarder, à toucher, c'est vraiment extraordinaire, à prendre l'homme dans toute sa dimension et à utiliser nos sens, vraiment.

 

C'est comme ça que les médecins étaient formé avant, on tapotait pas sur un truc pour que l'appareil nous sorte un diagnostic. Il y avait une humanité dans ce rapport à l'autre. C'est quelque chose qui a presque disparu complètement, mais heureusement on était les derniers étudiants à pouvoir bénéficier de cette approche. Cela m'a toujours marqué, j'ai toujours eu ça en tête. Je crois que ça correspondait bien à ma vision de la médecine.

 

La psychiatrie quand j'ai commencé c'était encore la politique du secteur, avec des CMP en ville, etc... En quelques décennies se sont installés des protocoles, une marchandisation des soins et des personnes, tout est passé par la politique, l'obsession du chiffre...
Le patient est devenu un client, « la 5ème roue de la charrette » selon les propres mots d'un directeur d'hôpital ! C'était certainement nécessaire sans doute car il y a eu des abus mais à un moment donné ce système là a pris le pas sur l'essentiel : La relation soignant-patient.
J'ai assisté à une baisse de la motivation générale des équipes. Certaines arrivent à résister car ils ont des idées, peut être lié à la personnalité du cadre ou du médecin qui impulse quelque chose mais globalement il y a un appauvrissement...

 

Quand je suis parti, c'était certes le hasard, mais l'organisation qui se mettait en place me déplaisait fortement J'avais le plaisir de travailler avec des enfants de 0 à 18 ans et même au delà avec les mamans, et là on sectorisait tout en classe d'âge. Si j'étais resté, j'aurais du choisir un service d'enfants entre 0 et 6 ou 6 et 12 ans...c'est complètement saucissonné et pour moi ça n'a aucun intérêt ! En plus quand vous suivez un enfant et qu'à 6 ans il faut qu'il change de thérapeute parce qu'il change de service ça n'a plus aucun sens !

 

On ne parle plus de l'intérêt du patient, mais de l'organisation, et c'est le patient qui doit se plier...Enfin voilà !
Je pourrais devenir méchant ! (Rires)

Pour moi ça marche sur la tête ! Je suis pas pressé de retourner à l'hôpital . Je n'ai aucune illusion de changer les choses, à des niveaux où on a aucun accès à des décisions donc je ne suis pas sûr que je retournerai à l'hôpital. J'ai arrêté depuis 6 ans, j'ai le droit à 10 ans, pour l'instant je prolonge ma disponibilité, mais je pense que j'aspirerai à travailler de façon indépendante.

Bon même en étant indépendant, on est soumis à des contraintes de plus en plus compliquées, c'est bien triste mais c'est comme ça !
Je m'appuie aussi sur les témoignages de mes collègues avec qui j'ai encore des contacts, et je vois comment ça se passe....c'est terrible...
Si j'avais mes enfants ou des proches qui devaient être soignés, je ne les adresserai pas à l'hôpital psychiatrique je crois !

 

Même si y a des gens qui sont compétents, l'organisation est telle que c'est devenu fou ! Je suis assez extrémiste dans mes propos...mais je les assume.

J'ai tendance à être plutôt d'accord avec vous... (rires)

 

 

5 B) Certains psychiatres ont tendance à systématiser les traitements, bien que ces derniers soient indispensables dans différentes situations. Quelles visions avez vous tout d'abord par rapport aux traitements psychiatriques qui peuvent être mal jugés par le grand public ou les patients eux mêmes (effets indésirables) ? Comment arrivez vous à mixer traitements et prise en charge humaine, en prenant en compte les souhaits des patients ?

 

Déjà par rapport à la prescription, il y a une ligne de démarcation... C'est à dire que si un patient qui est en souffrance aiguë intense et prolongée n'est pas apaisé par la présence, si on a pas le choix je vais prescrire un traitement de nature à apaiser la souffrance, l'angoisse, la douleur psychique, ça c'est sûr.
Le faisant que dans des cas aigus, je n'ai pas beaucoup prescrit dans mes carrière de psychiatre et encore plus en tant que pédopsychiatre, c'est rare rare rare quand on prescrit.
Ca m'est arrivé de prescrire des anxiolytiques chez des ados très angoissés, ou un antidépresseur, mais chez les ados effectivement il y a la difficulté a ce qu'ils prennent régulièrement le traitement, c'est très compliqué...et cela demande un suivi important.

 

Ca m'est arrivé de prescrire un peu de la Ritaline, pour des enfants avec instabilité motrice et psychique, mais vraiment très rarement, dans des situations où cela posait problème à la maison ou à l'école, mais je peux les compter sur les doigts de la main.
Je crois que ce qui est important c'est de faire les choses avec mesure. En psychiatrie et pédopsychiatrie, ont a beaucoup d'options que l'ont peu proposer et qui sont aussi efficaces....plus efficaces

Chez une maman enceinte, ça m'est arrivé quand la souffrance était tellement énorme que l'on ne pouvait pas les rassurer comme ça, le risque de se faire mal ou de faire mal au bébé était présent mais ça a toujours été des traitements de façon ponctuelle en revoyant les personnes tous les 3 jours, en accompagnant la prescription d'une aide orale, la personne pouvait m'appeler à tout moment en cas de problème.
En prenant toutes ces précautions là, je n'ai jamais eu de soucis particulier, la prescription était assez rare...à la base je ne suis pas un fana de traitements !

Déjà moi je n'en prends jamais ! (Rires)

Ce qui est drôle c'est que là, je suis assis dans ma voiture en face d'une pharmacie ! (Rires)

J'ai pu expérimenter l'efficacité de musicothérapie, de l'empathie...de la psychothérapie individuelle, de groupe... C'est jamais anodin de prendre un médicament! Oui !
Pour un cas personnel ou professionnel, quand je peux éviter la prise d'un médicament je le fais.

Jury à l'Educaflip

 

 

6) En tant que soignants, nous rencontrons parfois des situations terribles que nous ne pouvons résoudre qu'elles soient familiales, sociales, économiques... comme cela peut être le cas également pour d'autres professions, voir le film Polisse par exemple. Au fur et à mesure d'une carrière ces situations peuvent peser, comment abordez vous ces situations en gardant une distance nécessaire mais tout en restant humain auprès de vos patients ?

 

Quand vous évoquez les situations complexes, cela me fait immédiatement penser à la collaboration des différents services : Justice, Sociaux.... J'ai toujours travailler avec l'aide sociale à l'enfance par exemple, L'établissement où je travaille avec les ados, ils peuvent être orienter soit par la MDPH, la Maison départementale des personnes handicapées, soit par les services départementaux, soit par la protection judiciaire de la jeunesse, soit sous le coup d'une ordonnance du juge pour enfant.

 

Ces situations complexes je suis très habitué à travailler avec, que ce soit en maternité, quand vous avez des mamans qui arrivent de milieux très compliqués... J'ai travaillé en unité mère-bébé, une unité qui permet d'accueillir des mères avec des problématiques que vous citiez, que ce soit par leur pathologie ou leur environnement de vie et familial.
Moi j'accorde beaucoup d'importance à replacer les patients dans leur famille, qu'ils puissent voir leurs parents, leur famille, de les resituer dans leur histoire, avec des personnes ressources...

 

Il y a eu des situations très douloureuses où par un exemple un enfant était retiré de sa famille, cela est toujours très violent pour le parent, même si on essaye de le faire le moins durement possible mais à un moment on n'a pas le choix, il s'agit du bien être de l'enfant. Il faut ensuite que les parents soient reconnus à leur place, qu'il y ait une poursuite des liens parents-enfants de façon a ce que d'un côté ou de l'autre ils soient entourés pour pouvoir se rencontrer sereinement. Toujours prendre en compte la souffrance.

 

 

Comment vous avez fait vous pour vous protéger de ces situations que l'on ramène en tant que soignant à la maison ? Est ce que c'est aussi pour cela que vous avez pris une disponibilité ?

 

Non non la disponibilité c'est vraiment administratif ! Bon, comment dire, c'était pour 2 raisons : Première raison, manque de temps de travailler, j'aurais du prendre un 80% mais on va dire que la proportion des activités hors travail psychiatrique devenait tellement importante que c'était plus jouable et la seconde raison était bassement financière. Avec le succès de Dixit et les droits d'auteur, je finissais à ne plus travailler à l'hôpital que pour payer les impôts ! (Rires)

A un moment donné voilà...

 

J'aime beaucoup ce métier mais j'avais envie de faire d'autres choses à côté, j'ai eu l'envie de privilégier ces choses là. Sinon le métier en lui même je n'aurais pas arrêté sans ça.

 

Quand on est interne et qu'on commence à suivre des personnes, on ne nous apprend pas spécialement donc on se forme au contact des gens, chacun avec sa vision des choses, son rapport à l'autre, chacun se débrouille un peu, chacun se fait son bagage, son expérience et ses connaissances.
Moi même avant de faire psychiatrie, j'ai toujours été intéressé par les gens, leur histoire, je trouve cela très passionnant. Je trouve que recevoir quelqu'un qui vient avec une demande, je trouve cela passionnant car tout à l'heure je parlai d'un travail d'enquête au niveau diagnostic et là c'est pareil ! J'ai l'impression parfois de vraiment faire un travail d'investigation, de regrouper des choses...d'aider la personne à prendre conscience de certaines choses...

 

Mais il m'est arrivé de faire face à des patients très angoissés et on en prend une part, ça peut être dérangeant, moi y a eu des moments où effectivement à la fin de la journée, j'avais besoin d'aller me défouler...je me suis remis au sport le vendredi soir car j'en avais vraiment besoin.

Y a le fait aussi de pouvoir en parler à certains collègues, de partager des situations, les réunions en début de semaine où l'on peut évoquer des situations et un peu d'analyse de pratiques, ça c'est très important. Cela permet de diffuser l'énergie très lourde qu'on a emmagasiné.

 

La psychothérapie personnelle permet de prendre de la distance. Peut être aussi d'avoir des intérêts en dehors du travail, des passions, la musique, qui permettent de détourner ces énergies très lourdes.
Si on ne se protège pas on pète les plombs et on ne peut pas continuer comme ça. Donc la difficulté, c'est comment laisser une distance en étant empathique, mais ça ne m'a jamais posé problème. J'ai toujours eu l'impression de laisser la place à l'autre, de pouvoir accueillir l'autre sans me laisser envahir, c'est vraiment très rare quand j'ai eu la sensation de me faire envahir par l'angoisse de l'autre.


La semaine prochaine, nous parlerons de Feelings, son nouveau jeu crée avec son ami Vincent Bidault, des passerelles entre le monde ludique et le monde hospitalier, de Régis Bonnessée et du Docteur Mops, de Timothée de Fombelle, de Dixit Porno.
Sans oublier le mystérieux Mr F. Faic, professionnel anonyme qui posera sa question provocatrice mais non moins intelligente à Jean-Louis Roubira. 



 

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Yves Hirschfeld
Benoit Forget
Bruno Faidutti 1ère partie
Bruno Faidutti 2ème partie
Naiade
François Haffner 1ère partie
François Haffner 2ème partie
Pierô Lalune
Timothée Leroy
Mathilde Spriet
Sébastien Pauchon
Tom Vuarchex
Vincent Dutrait 1ère partie
Vincent Dutrait 2ème partie
Christophe Boelinger 1 ère partie 
Christophe Boelinger 2ème partie
Régis Bonnessée
Roberto Fraga 1ère partie
Roberto Fraga 2ème partie
Cyril Demaedg
Bruno Cathala 1 ère partie
Cyril Blondel
Bruno Cathala 2ème partie
Yahndrev 1ère partie
Yahndrev 2ème partie
Emilie Thomas
Sebastien Dujardin
Florian Corroyer
Alexandre Droit
Docteur Mops 1ère partie
Docteur Mops 2ème partie
Arnaud Urbon
Croc
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Florent Toscano
Guillaume Chifoumi
Nicolas Soubies
Juan Rodriguez 1ère partie
Juan Rodriguez 2ème partie
Bony
Yannick Robert
Docteur Philippe Proux
Franck Dion 1ère partie
Franck Dion 2ème partie
Franck Dion 3ème partie
Yoann Laurent
Carine Hinder et Jerôme Pélissier
Dominique Ehrhard
Christian Martinez
Maxime Savariaud
Véronique Claude

Shadi Torbey

 

Saison 2


Fabien Bleuze
Serge Laget
Djib 1ère partie
Djib 2me partie
Florian Sirieix
Farid Ben Salem 1 ère partie
Farid Ben Salem 2ème partie

Julien Lamouche

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