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Jeux Viens à Vous Richard Garfield
Décembre 1994, je découvre Magic the Gathering grâce à Casus Belli.
Ma vie ne sera plus tout à fait la même.
Cet entretien est l'aboutissement de ma recherche sur ce qu'est le jeu pour moi depuis toutes ces années, il est en quelque sorte l'ultime retour aux sources.
Richard Garfield se confie de manière ouverte et très simplement sur sa vision du jeu de société, l'évolution du monde ludique au fil des décennies, Antoine Bauza et les Frères Coen, les répercussions de Magic dans sa vie lui mais également sur celui de millions de joueurs, et sur KeyForge son nouveau jeu dont il lest très fier...
Merci à Matthias Lamoureux d'avoir réalisé la traduction, rien n'aurait été possible sans lui. Alors encore une fois, Matthias, Merci!
1) Richard Garfield, bonjour, auriez-vous la gentillesse de vous présenter ?
Je suis surtout connu comme le créateur du jeu de cartes à collectionner Magic the Gathering, il y a 25 ans. À l’époque j’enseignais les mathématiques à l’université, mais j’ai commencé à concevoir des jeux à plein temps. Depuis j’ai joué, étudié, expérimenté et parfois publié de nouveaux jeux. J’ai également écrit un livre avec deux co-auteurs : Characteristics of Games.
Je suis particulièrement enthousiasmé par deux de mes jeux qui vont sortir en fin d’année : Keyforge et Artifact. Keyforge est le premier jeu à deck unique, chaque paquet est unique, avec une composition et un nom distincts. Artifact est un jeu de cartes électronique stratégique développé avec Valve, situé dans le monde de Dota.
Keyforge, le nouveau jeu de Richard Garfield
2) Que représente le jeu pour vous, le fait de jouer mais également le fait de faire jouer?
Les jeux m’aident à comprendre le monde. Quand quelque chose est compliqué, comme une idée sur l’économie ou l’évolution, je crée un jeu pour m’aider à comprendre.
Lorsque je suis tombé amoureux des jeux, adolescent, j’ai été surpris de l’ampleur du domaine et de combien il était inexploré. On a tellement plus écrit sur les autres sujets, on aurait dit que l’étude des jeux était aussi riche que la littérature, et pourtant il semblait qu’il y avait beaucoup moins d’écrits en tout que, disons, sur une simple pièce de Shakespeare.
C’était à la fois déprimant mais aussi exaltant, ça donnait l’impression que d’apprendre à connaître les jeux était une véritable exploration, plutôt qu’une ballade sur des sentiers battus.
3) Vous me parlez de littérature et cela me fait penser à un débat actuel en France. Considérez-vous que le jeu soit un art, quelles différences et similitudes voyez vous entre les deux domaines ?
Je n’apprécie pas de faire la distinction entre de l’art et quelque chose d’autre. En étudiant les mathématiques, j’avais l’impression que c’était un art, il en émanait une beauté et une créativité qui pouvait nécessiter pour l’apprécier quelque entraînement et mise en perspective, mais à l’occasion ça pouvait m’émouvoir autant que tout ce que j’ai pu rencontrer. Je pense que n’importe quelle activité humaine impliquant de la créativité sera considérée par certains comme de l’art, et c’est sans surprise bien souvent mon cas avec les jeux.
Ceci étant dit, j’ai de temps à autre fait le lien entre jeu et architecture. L’architecture, qui est largement considérée comme un art, crée des espaces à vivre, alors que les concepteurs de jeux créent des structures abstraites à jouer. L’architecture est sujette aux lois de la physique, et un architecte doit soit être ingénieur, soit travailler avec des ingénieurs pour réaliser sa vision.
Les concepteurs de jeux doivent être développeurs ou travailler avec des développeurs de jeux pour réaliser leur vision.
Richard Garfield en 5 th grade (CM 2)
4) Je vais devoir en venir à un sujet dont vous n'avez peut être plus envie de parler mais qui est votre identité car il a changé votre vie par son succès. Vous avez connu un énorme succès avec Magic the gathering, un long-seller qui vous permet de vivre de manière pérenne depuis de nombreuses années. Tom Vuarchex, l'auteur de l'énorme succès Jungle speed avait décidé de prendre un peu de distance avec le monde ludique, pour se renouveler par la suite avec brio en tant que graphiste. Qu'est-ce qui vous a motivé pour continuer à développer de nouveaux jeux ? Ce sont les gens avec qui vous travaillez ? Les rencontres que vous faites tous les jours ? Les amis avec lesquels vous allez boire un verre les soirs de festivals ? De réfléchir sur des données techniques ? Le challenge de faire un nouveau grand succès qui vous fait vous lever chaque matin ?
J’ai commencé à concevoir des jeux parce que j’adore les jeux, j’aime y penser et explorer les possibilités. Ça n’a pas disparu avec la création de Magic, au contraire, ma motivation n’en a été que plus intense, même si la pression de réussir s’est dissipée. Je n’essaie pas d’égaler ou de surpasser Magic, c’est un phénomène unique dans une vie, les astres étaient alignés, le monde était prêt juste au bon moment.
Je vais continuer à tenter de nouvelles choses, une part de la nouveauté sera subtile, comme dans King of Tokyo, mais d’autres parts seront plus manifestes, comme dans Keyforge. Mais je ne me berce pas d’illusions, rien n’égalera la contribution que j’ai apportée au monde du jeu avec Magic.
5) Le milieu a beaucoup évolué depuis vos débuts, que regrettez-vous des années 80-90, lorsque le monde du jeu était un réel microcosme et à l'inverse que ne regrettez-vous surtout pas ?
C’est une question intéressante que, je pense, on ne m’a jamais posée. Mes sentiments sont partagés. D’un côté le monde du jeu aujourd’hui est ce que j’aurais voulu enfant, il y a beaucoup de jeux de plein de sortes, il y a quantité de joueurs, de concepteurs et de penseurs qui sont passionnés par les jeux.
D’un autre côté, avoir vécu à l’époque m’a certainement donné une perspective que je n’aurais pas eu la patience d’obtenir aujourd’hui. Du fait d’avoir si peu de choix j’ai dû tirer le maximum de ce que j’avais, et j’ai exploré les jeux de plateau classiques et les jeux de cartes comme le go et le bésigue, j’ai joué à de vieux wargames croustillants et à des jeux de rôles publiés sous formes de photocopies. De temps en temps je découvrais de véritables trésors, comme les jeux les livres de Sid Sackson, véritable précurseur du mouvement des jeux modernes.
Peut-être que si j’étais né dans le monde que je voulais, je verrais les jeux comme une invention récente plutôt que comme une création culturelle humaine qui remonte aux origines même. Peut-être que je n’aurais pas le temps de jouer aux jeux qui m’ont fait… bon sang, je n’aurais peut-être pas eu le temps de jouer à un jeu deux fois, et de ce fait comment aurais-je pu apprendre la chose la plus épatante qui fait un bon jeu : il ne devient pas obsolète, il s’améliore avec le temps.
L'équipe d'origine de Wizard of the Coast, éditeur de Magic the gathering, ainsi que les premiers playtesteurs, on retrouve notamment Peter Adkison, Skaff Elias, Dave Pettey, Chris Page, Lisa Stevens, Richard Garfield, Joe Mick, Don Felice et Jim Lin
6) Je dois vous avouer quelque chose Richard, quelque chose que l'on vous a certainement déjà dit.
Vous avez changé ma vie.
Ou en tout cas vous l'avez fortement influencée, sans le vouloir certes, mais Magic à été très important dans ma vie durant plusieurs années et les traces sont encore bien présentes sur l'homme que je suis devenu. La réflexion engendrée, les dizaines, centaines, milliers d'heures de tests, les probabilités, la réflexion sur l'être humain avec le guessing, réfléchir au fait de détourner une règle, de rendre une mauvaise carte indispensable dans un deck, se concentrer, jouer et rejouer, les voyages pour remporter un tournoi ou se qualifier pour un pro tour, les sandwichs entre potes en parlant de Magic, Magic Magic et en oubliant le reste...
6 A) Est-ce que c'est effectivement quelque chose que l'on vous à déjà dit et qu'est-ce que cela vous fait d'avoir influencé des milliers de vies à travers le monde ?
Beaucoup de joueurs m’ont dit combien Magic avait influencé leur vie. Je suppose que n’importe quel jeu ou sport auquel les gens peuvent se consacrer et rencontrer une communauté changera énormément leur vie.
Savoir cela m’a souvent paru écrasant, mais je suis heureux de pouvoir partager mon amour du jeu avec un public aussi large. C’est génial quand les joueurs adorent Magic et la communauté Magic, et quand ça en fait des joueurs bien équilibrés c’est encore mieux !
6 B) J'ai côtoyé des joueurs français excellents comme Gabriel Nassif ou les frères Ruel par exemple, et nombreux ont bien réussi voire très réussi dans leur vie professionnelle.
Comment expliquez-vous cela ?
Magic favoriserait-il la réussite ? Ou bien oserais-je dire de manière provocatrice que Magic est plutôt un jeu d'hommes blancs favorisés ?
Je considère les jeux comme un sport mental, et comme un athlète physique se retrouve bien souvent en bonne forme physique, un athlète mental se retrouve bien souvent en bonne forme mentale. Dans le monde dans lequel on vit, être en bonne forme mentale est un grand avantage, et comme vous dites, favorisera la réussite.
En ce qui concerne l’étroitesse d’esprit de la population, j’ai l’impression que la culture est responsable, et que la culture change en s'élargissant, pas seulement pour Magic, mais pour beaucoup de jeux. Qui se sent à l’aise pour jouer ensemble ou se concurrencer les uns les autres ?
Ce sont des problèmes bien plus grands que ceux qu’un concepteur de jeux ou qu’un éditeur peuvent changer par eux-mêmes. Le mieux qu’ils peuvent faire est de rendre les illustrations du jeu accueillantes pour un large public, et s’ils entretiennent un genre de jeu organisé, d’essayer de maintenir une communauté accueillante.
Ça a été la philosophie de Magic depuis le début, nous avons essayé de représenter les femmes de manière positive et de garder une large diversité culturelle dans les illustrations. Naïvement, je pensais que ça suffirait au début, mais maintenant je m'aperçois que ça n’est qu’une toute petite pièce du puzzle.
Première finale des championnats du monde de Magic en 1994 entre Bertrand Lestrée et Zak Dolan.
Je vais continuer si vous me le permettez de vous embêter encore un peu avec Magic et puis nous passerons ensuite à d'autres sujets.
7)A quel moment avez-vous compris que le jeu passait dans une autre sphère, qu'il vous échappait en quelque sorte pour devenir non plus un jeu de société mais une sorte d'institution ludique qui a inspiré de nombreux auteurs depuis ?
J’ai sans cesse été étonné par le succès insensé de Magic pendant des années. J’imagine que je le suis encore. Je pensais, et ce même avant la publication de Magic, que c’était un nouveau concept de jeu, et qu’au même titre qu’il existe nombre de jeux de société, il pourrait exister nombre de jeux de cartes à collectionner.
En fait, cette conviction a été en partie ce pourquoi j’ai laissé la main sur la conception de Magic à d’autres concepteurs et développeurs juste après la première extension, je cherchais une opportunité d’explorer d’autres parties du monde du jeu récemment découvert. Et il y avait beaucoup à découvrir.
Par exemple, mes normes concernant la conception de Magic étaient basées sur les jeux de société, et ça ne m’aurait pas dérangé qu’une partie dure une heure voire plus. Ça n’a été que lorsque j’ai conçu mon deuxième jeu de carte à collectionner, Vampire: The Eternal Struggle, que j’ai pris conscience que des parties courtes pour des jeux de cartes à collectionner étaient vraiment souhaitables vu que ça laissait du temps aux joueurs pour essayer différents decks, ou une variante de leur premier deck, ou même simplement de rejouer pour comparer les résultats. J’ai commencé à voir les jeux à base de cartes à collectionner comme étant des mains dans un plus grand jeu, plutôt que comme des jeux autonomes.
8) Beaucoup de joueurs, souvent sans avoir joué d'ailleurs à Magic, critiquent son côté mercantile.
J'imagine qu'on a dû déjà vous en parler.
Si bien évidemment, le côté « tournoi » de Magic demande un investissement financier,le jeu en lui même ne demande pas d'avoir des cartes à des prix exorbitants.
Un père et son fils ou deux amis pourront s'affronter avec des cartes peu onéreuses et passer un excellent moment.
C’est vrai, les groupes de joueurs peuvent créer un environnement adapté à leurs intérêts pour quel que budget que ce soit. Tu n’as pas besoin de beaucoup de cartes pour jouer, et encore moins de cartes chères. Magic se joue bien quelles que soient les cartes à portée de main, tu peux les diviser de la manière que tu veux, ou les drafter pour ensuite s’amuser avec.
On se fait souvent une fausse idée qu'il faut de nouvelles cartes ou sinon elles vont vieillir. Mais Magic est comme beaucoup de jeux, plus on joue avec les mêmes cartes, plus il est amusant. Je joue toujours avec d’anciens sets avec lesquels j'ai joué pendant des décennies.
8 A) C'est quelque chose auquel vous aviez songé au départ cette frénésie et cette hausse incroyable des prix ?
Non, cela m’a surpris et ennuyé.
Au début de Magic, plusieurs personnes de l’entreprise ayant une vision à court terme étaient ravies que les prix s’envolent. En revanche, ceux qui aimaient le jeu savaient que c’était mauvais, que ça aurait pu tuer complètement Magic. Si tu ne peux pas récupérer de cartes, tu ne peux pas jouer, et si tu ne peux pas jouer, le jeu devient un objet de spéculation qui va inévitablement se crasher. C’est pourquoi nous avons intentionnellement surproduit l’extension Fallen Empires…
Nous voulions faire sortir de force les spéculateurs et prendre le contrôle du jeu. C’était une période effrayante parce que les spéculateurs ont conspué le jeu et dit qu’il était fini, et l’extension a été mal perçue parce qu’elle était dans les bacs soldés. Mais avec le jeu soldé, les gens pouvaient jouer… et il est rapidement apparu que finalement un jeu que les gens peuvent s’offrir est meilleur que l'attrait à court-terme d’un jeu exceptionnellement à la mode.
Des cartes prototypes de Magic et leur équivalent en dessous
8 B) Qu'auriez-vous envie de dire aux gens qui tiennent ces propos sur l'impossibilité de jouer à Magic sans vendre sa maison ?
Que c’est un peu comme de penser que l’on ne peut pas faire la course sans vendre sa maison.
On peut courir, nager ou faire du vélo à peu de frais, ou se lancer dans plein de types de courses différentes. Si l’on veut faire la course à bord de vielles automobiles exotiques… peut-être que ça coûtera cher.
Si l’on regarde jouer des joueurs avec d’anciennes cartes de Magic de grande valeur… ouais, c’est onéreux. Mais ça n’est pas plus la vraie façon de jouer à Magic que de courir à bord de vieilles automobiles exotiques n’est la vraie façon de faire la course.
Ça n’est même pas ce qui demande le plus de compétences. Tu ne considérerais pas un excellent coureur cycliste « inférieur » à un excellent coureur d'automobiles exotiques.
9) Vous m'avez parlé plusieurs fois de Keyforge, ce jeu a l'air de vous tenir à cœur.
Pourriez-vous en dire plus à mes lecteurs ?
Bien sûr !
Keyforge est un projet auquel je pense depuis bien longtemps, peut-être 20 ans. La genèse du jeu trouve ses racines dans les jeux en ligues dans Magic. On donnait un nombre limité de cartes à chaque joueur et ils les conservaient à part de toutes leurs autres cartes, de sorte que tous les joueurs avaient des compétences différentes.
C’était une manière amusante de jouer, et ça donnait l’impression que les outils de chaque joueur étaient différents. Cependant, c’était aussi difficile de jouer, parce que les gens perdaient la trace leurs decks et au final c’était juste plus facile de jouer en draft, scellé ou construit. Je pensais que s’il était possible de personnaliser chaque deck pour qu’il ait un dos unique aussi bien qu’un contenu unique, je pourrais créer un jeu qui capterait ce que j’aimais à propos des ligues. C’était impossible à réaliser à l’époque, mais maintenant les technologies d’impression sont tellement bonnes que nous pouvons le faire.
Dans Keyforge, chaque deck est unique. Il possède un nom unique au verso, et un contenu unique. La façon de jouer est assez différente des autres jeux de cartes, en partie parce que les decks doivent être flexibles et avoir différentes stratégies dès l’ouverture de la boîte.
Mon espoir est que lorsqu’un joueur récupère un deck, il devienne expert de la façon de jouer ce deck en particulier, autant avec ses forces qu'avec ses faiblesses. Ça serait différent des autres jeux de cartes à collectionner où les joueurs ont l’impression qu’ils ne peuvent concourir sans pourchasser un ensemble de cartes particulier pour construire un deck spécifique.
KeyForge
10) Qu'est-ce que vous aimez voir se passer à une table de jeu justement ? De la réflexion ? Des retournements de situations ? De l'émotion ? Des échanges verbaux ou non verbaux entre les joueurs ? Du métagame ?
Tous ces exemples sont très bons. Je dirais que ce que je préfère est l’inattendu. J’aime quand il arrive une nouvelle situation de jeu, ou quand une stratégie que les joueurs pensaient meilleure se retrouve vaincue. Quand je joue à Magic, j’aime jouer avec des cartes que je trouve sous-estimées plutôt qu’avec celles que tout le monde pense être les meilleures. L’inattendu nous fait rire et montre une nouvelle profondeur dans les jeux. C’est de là que proviennent les meilleures histoires.
En surface cela semble sous-entendre que j’aime les jeux avec beaucoup de hasard, et c‘est le cas, mais pas exclusivement. L’inattendu peut aussi trouver ses racines dans les jeux déterministes complexes ; aux échecs une ouverture ou une ligne de jeu inattendue est passionnante.
C'est lié à ce qui est probablement ma plus grande bête noire dans les jeux, quand quelqu’un joue à un jeu une seule fois et pense qu’il l’a complètement compris. Souvent les gens avec cette manie sont de très bons joueurs, donc leurs groupes les écoutent et ne jouent pas suffisamment au jeu pour leur montrer qu’ils ont tort. Ils vont analyser rapidement un autre jeu et rarement apprécier le fait que les jeux deviennent meilleurs quand on les connaît bien, pas le contraire. La plupart des jeux est comme la vie, remplie d’inattendu et s’installer dans une vie orthodoxe incontestable peut être sans danger, mais cela vous limitera.
11) Quand j'ai découvert Magic en 1994 ou Colons de Catane et Diplomatie quelques années après, nous achetions 1 jeu, nous jouions avec jusqu'à plus soif. Le monde ludique actuel est maintenant complètement différent. Les gens achètent 4 jeux chaque mois, les rangent dans leur étagère suédoise et n'y jouent même pas.
Y voyez-vous là un symptôme de notre société actuelle ?
D'ailleurs, tentez-vous de vous intéresser à tout ce qui sort actuellement ou absolument pas ?
Je suis ravi que les gens s’intéressent autant aux jeux et qu’il y ait un tel choix. Je m’inquiète que les qualités essentielles d’un jeu soient perdues au profit de ses qualités superficielles ; parce que si vous ne jouez à un jeu qu’une ou deux fois, vous ne pouvez pas l’explorer en profondeur. Cela devient une expérience jetable.
J’avais l’habitude de voir les jeux plutôt comme des films ou des livres, avec des listes de best-sellers, des chroniques fréquentes, etc. À une époque, bien avant que nous n'entrions dans ce monde, j’ai pris conscience que les gens qui jouent aux mêmes jeux toute leur vie ne sont peut-être pas les mêmes que ceux qui ne lisent qu'un ou deux livres, que c’était une façon gratifiante de jouer et de consommer des jeux. Maintenant, je vois plus les jeux comme de la musique, il y a de la place pour une innovation constante, mais un bon morceau de musique ne vieillit jamais, et il faut souvent plusieurs écoutes avant même d'apprendre à l’apprécier.
Est-ce un symptôme de notre société actuelle ? Je n’en suis pas sûr. C’est certainement tentant de de parler de « culture jetable » ou de « capacité d’attention limitée. » Ça en fait peut-être partie. Mais il peut aussi bien s'agir de gens tombant amoureux des jeux et très intéressés par les possibilités que les jeux peuvent offrir, une chose à laquelle je m’identifie beaucoup.
Je m’intéresse énormément aux jeux qui sortent. Je dois me forcer à jouer plusieurs fois à ceux qui, à mon avis, ont du potentiel, parce que je veux en essayer tellement. Je suis souvent déçu, mais pas rarement impressionné et parfois submergé par ce que quelqu’un a fait avec un jeu.
Skaff Elias, architecte principal des Pro tour.
12) Auriez-vous une anecdote marquante drôle ou émouvante qui vous soit arrivée lors d'un festival par exemple ?
Lors d’une convention, je jouais avec des gens à côté de Peter Adkison, le président initial de Wizards of the Coast. On suivait nos victoires, et nous avions parié sur qui en aurait le plus. Nos résultats étaient similaires, nous gagnions la plupart de nos parties. Il est ensuite tombé sur un joueur qui possédait une île modifiée disant « Provoque 20 dommages à Peter » signée par moi. Il a été bon joueur et l’a acceptée, et j’ai remporté une victoire.
13) Si vous deviez me citer deux personnes du monde ludique, l'une pour ses qualités professionnelles et l'autre pour ses qualités humaines, l'un n'enlevant rien à l'autre ?
Je ne pense pas être capable de dissocier les deux. J’ai travaillé avec deux éditeurs épatants : Peter Adkison et Christian Petersen. Peter a vu en moi le concepteur de jeu que j’allais devenir, et a reconnu en Magic son potentiel. Il m’a accompagné dans les moments les plus difficiles du jeu et a respecté mes choix sur les décisions les plus controversées de sa conception.
Je n’ai pas travaillé avec Chris aussi longtemps, mais je suis impressionné par sa propension à rester généreux et ouvert envers tous ses collaborateurs et ses clients. En travaillant sur Keyforge, j’ai toujours senti que nous recherchions le même objectif : obtenir la meilleure et la plus passionnante version du jeu.
Le concepteur de jeu qui me vient à l’esprit est Antoine Bauza. Rien qu’avec Seven Wonders, il aurait été mon auteur favori, mais ensuite il a fait Hanabi, qui est le meilleur jeu coopératif auquel j’ai jamais joué.
14) Pourriez-vous nous parler d'un auteur ou d'une œuvre importante à vos yeux, que ce soit en littérature, théâtre, cinéma, jeu, etc... que vous souhaiteriez faire découvrir ou redécouvrir à mes lecteurs ?
Je suis fan de longue date des frères Coen, je suis leur travail avec assiduité.
J’aime les livres de Iain Banks, sa science-fiction en particulier est amusante en raison de son ampleur. Je m’intéresse à tout ce qu’écrit Steven Pinker, explorer ses vues sur un sujet me laisse toujours l’impression de mieux comprendre le monde et que le monde est rempli de choses fascinantes auxquelles réfléchir.
Je ne me lasse pas de Rick and Morty, j’ai vu tous les épisodes plusieurs fois.
Richard Garfield en compagnie de Mr Ishihara, créateur de Pokémon
15) Le jour où vous devrez quitter le monde du jeu, d’une manière ou d’une autre, que souhaiteriez-vous que l’on retienne de vous ?
J’aimerais que l’on se souvienne de moi comme de quelqu’un qui a contribué aux jeux et qui y a amené les gens dans leur ensemble... pas seulement mes jeux.
J’espère que mes jeux et mes réflexions ludiques sont utiles aux autres concepteurs qui créent des jeux dont je n’ai jamais rêvé et qu’ils se tiennent fièrement sur mes épaules, comme je me suis tenu sur les épaules de ceux qui m’ont précédé.
16) C'est malheureusement la fin de cet entretien, Richard, êtes-vous heureux ?
Je suis heureux !
Je suis heureux professionnellement, ma passion pour les jeux n’a fait que croître et ça me ravit que tant de gens s’y intéressent et y contribuent.
Je suis heureux sur le plan personnel, mes deux premiers enfants sont à l’université et mes jumeaux de un an sont adorables.
Je suis heureux de cet entretien, tu m’as posé des questions que l’on ne m’avait jamais posé auparavant et ça m’a donné l’occasion de réfléchir.
Je voudrais vous remercier Mr Garfield.
Non seulement pour cet entretien bien évidemment, mais surtout pour tout le bonheur que vous m'avez apporté grâce à votre jeu. Vraiment.
Je ne sais comment le formuler, mais Magic m'a tellement apporté, peut-être en négatif parfois comme certains professeurs me le disaient au lycée car je jouais tous les jours de 18 à 00h, mais souvent en positif pour les souvenirs avec mes amis, les voyages, les réflexions constantes, les angoisses, les bluffs, les joies... et bientôt peut être avec mes deux fils.
Simplement merci.
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