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Jeux Viens à Vous François Haffner 2ème partie 

La semaine dernière, vous pouviez lire la première partie de mon entretien avec François Haffner, auteur, webmaster de Jeuxsoc, et Grand manitou de l'Escale à jeux un gîte ludique situé en Saône et Loire.
Voici la seconde partie, où nous parlons essentiellement du monde ludique, de ses jeunes créateurs, de Jeuxsoc, ainsi que des éditeurs français et des magasins spécialisés. 
Vous êtes de plus en  plus  nombreux à me lire alors encore merci à vous tous. 
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Pour ceux souhaitant connaitre, notre prochain invité, un indice s'est glissé dans l'interview...

 

15) Comme tu le disais dans une de tes réponses, tu es très lié à ton épouse, que t’apportes Chantal par rapport au monde ludique, aux difficultés que tu as peut être rencontré dans ce monde professionnel ou en général dans la vie ?Et que t’apportes le jeu que ne t’apportes pas Chantal ? 

Et bien là, on est dans le domaine du privé. Comme je ne veux pas qu'on me vole ma compagne, tu comprendras que je ne souhaite pas évoquer ici toutes ses qualités.

Pour ce qui est de la seconde question, Chantal fait, par exemple, d'excellentes soupes de potimarron, ce qu'aucun jeu ne m'a jamais apporté.


16) Tu es également webmaster d'un site, Jeuxsoc, depuis très longtemps (1999), que penses-tu du web ludique, et du web en général? 
Après la vague des youtubeurs humouristes, des vidéastes commencent à créer des chaines avec des contenus type série noire ou dramatique, avec de la réflexion, de la philosophie, des psychiatres ont créé une chaine d'explication sur la maladie mentale (psylab)...
T'intéresses-tu à tout cela? Qu'en penses-tu? Ou es-tu coupé de tout cela? 

JeuxSoc.fr a ouvert en décembre 1998. Tout cela ne nous rajeunit pas ! Pour moi, Internet a surtout été l'occasion de lier des relations avec de nombreuses personnes intéressantes pour ensuite se retrouver dans la vie réelle. Je ne suis pas fan de passer des heures devant mon écran. Je ne regarde que très rarement des vidéos. Quand un article m'intéresse, je préfère le lire agréablement dans mon fauteuil, en version papier ou sur une tablette. De plus, la communication via la toile est souvent source d'incompréhensions dues aux barrières de l'écrit. Il manque les intonations et les débats sont très souvent stériles. Cependant, je comprends que des citadins contraints de passer plusieurs heures par semaine dans les transports en commun apprécient de visionner des vidéos ou d'écouter des radios web. Mais moi, j'ai la chance d'habiter à la campagne.

Une chambre de l'Escale à jeux

 

17) En parlant de rencontres, pourrais-tu nous parler d'un joueur ou d'une joueuse qui t'a marqué lors d'une partie test, un festival, une anecdote drôle (ou pas) à son rencontre?

Je n'ai pas de souvenir marquant à propos d'une joueuse ou d'un joueur. Mais j'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreux auteurs, anonymes ou célèbres, et plusieurs d'entre eux m'ont impressionné. Quelques auteurs m'ont ainsi impressionné par leur ingéniosité et leur inventivité. D'autres m'ont fait sourire tant leur ignorance de la chose ludique est profonde. Certains « jeunes »auteurs découvrent l'univers des jeux à l'occasion du premier festival auquel ils se rendent pour présenter le jeu qu'ils ont conçu. Ils sont persuadés que leur jeu est une véritable révolution alors qu'ils n'ont aucune conscience de ce qui a déjà été créé et publié. Lors du dernier festival de Cannes, j'ai ainsi pu croiser un créateur qui m'a expliqué que son jeu était le premier à utiliser des sabliers en guise de pions. J'ai essayé de lui expliquer que j'avais quatre jeux de ce type dans ma collection (il en existe probablement beaucoup plus) mais il n'a pas semblé me croire.

 

Trop souvent les créateurs confondent les jeux qu'ils aiment avec les jeux qui se vendent.

 

18) Si tu devais donner quelques conseils à ceux qui veulent se lancer dans la création de jeux, quels seraient-t-ils ?

De deux choses l'une.
Dans le premier cas, l'auteur veut absolument éditer son jeu car il estime que le monde ne pourrait pas tourner sans l'existence de son extraordinaire quiz sur la culture maraîchère en Bretagne au XIXe siècle. C'est sa lubie. En gros, pour éditer 1000 boîtes, elle va lui coûter entre 3000 et 10000 euros soit le prix d'une voiture d'occasion. Je ne déconseillerai pas à ce créateur d'éditer son jeu si cela lui tient visiblement à cœur. Simplement je lui expliquerai qu'il risque fort d'en être de sa poche, tout comme les nombreux écrivains du dimanche qui publient leur roman à compte d'auteur. Son jeu va probablement s'entasser dans son garage et ses amis vont se lasser de recevoir le même cadeau à chaque Noël, anniversaire et fête. Mais au moins, son jeu existera et ses amis et proches en sauront un peu plus sur l'expansion de l'artichaut dans la région de Quimper.

Dans le deuxième cas, l'auteur pense avoir inventé un jeu nouveau et indispensable. Malheureusement, aucun éditeur n'en veut. Je lui conseillerai de s'interroger sur ces refus. Son jeu est-il vraiment intéressant ? Une boutique saura-t-elle le vendre ? Le coût de fabrication prévisionnel n'est-il pas trop élevé. Je lui dirai qu'à côté des belles histoires d'autoéditions devenues des succès que chacun raconte, comme celui de Jungle Speed, il existe des tas d'histoires de créateurs qui ont perdu beaucoup en voulant éditer eux-mêmes leur jeux. S'il s'agit d'un jeu de cartes, l'aventure n'est pas très dispendieuse. mais s'il s'agit d'une boîte de jeu avec des cartes, des pions, un plan de jeu, des figurines et que sais-je encore, le prix de revient peut vite atteindre des sommes importantes. la question qu'il doit alors se poser est : « Si je n'ai pas réussi à convaincre un éditeur de l'acheter, et que donc aucun éditeur n'a pensé pouvoir gagner de l'argent avec mon jeu, est-il raisonnable de croire que je vais réussir à le vendre moi-même à 3000 acheteurs en courant les festivals et les fêtes du jeu ? ».

Enfin, trop souvent les créateurs confondent les jeux qu'ils aiment avec les jeux qui se vendent. Pour gagner de l'argent en créant des jeux, mieux vaut s'orienter vers des jeux pour très jeunes joueurs, avec des règles simples et souvent peu innovantes. C'est moins satisfaisant pour l'esprit, mais plus pour la bourse. Les créateurs installés savent que ce créneau est plus rentable. Ils savent aussi que la concurrence y est rude.

19) Dans les années futures,  quels sont les axes de développement que pourrait prendre le jeu. 
Des jeux couplés aux nouvelles technologies ? Des jeux où le thème et l'immersion prendraient plus d'importance ? Des illustrations de plus en plus belles ? Des jeux plus chers mais de meilleure qualité, comme un fort retour des jeux en bois ?

Je pense qu'il ne faudrait pas agrandir la "fracture ludique". D'un côté, on a des joueurs chevronnés qui veulent des jeux toujours plus complexes, avec de belles figurines dans des boîtes très coûteuses, pour lesquelles ils sont visiblement disposés à se couper un bras. De l'autre côté, on a une masse de gens qui pourraient découvrir qu'il existe d'autres jeux que ceux qu'ils voient à chaque Noël dans les rayons de leurs supermarchés, si on leur en donnait la possibilité.

Les nouvelles technologies attirent autant les journalistes qu'elles rebutent la plupart des joueurs. Si elles permettaient de rendre les jeux plus faciles d'accès et plus fluides, ce serait une bonne chose, mais aujourd'hui, elles alourdissent plutôt les jeux qui tentent de les intégrer.


Plutôt que de faire le devin et d'essayer de prédire les évolutions futurs de nos jeux, j'appelle de mes vœux une meilleure démocratisation des jeux « modernes ». Les grandes surfaces vendent déjà de bons jeux : Othello/Reversi, Labyrinthe, Dobble, pour ne citer que les plus connus. À côté de ça, on trouve plusieurs jeux à la fois beaux et bons dans des boutiques de cadeaux. Je pense par exemple aux jeux de la gamme bois de chez Gigamic. J'aimerai que le développement du jeu s'axe vers des propositions de jeux faciles d'accès sans être simplistes. On commence à trouver dans les petites boutiques de jouets et les surfaces spécialisées en jouets de bons jeux pas trop compliqués comme Les Aventuriers du rail ou Carcassonne, ainsi que plusieurs jeux Haba ou Djeco. L'évolution sera longue mais je crois qu'elle aura lieu. La gamme « soirées jeux » de Haba, avec l'excellent Karuba, est un très bon exemple de démocratisation des jeux modernes. Les prochains Labyrinthe Twist et Memory Board Game, chez Ravensburger, vont aussi dans ce sens de jeux accessibles à tous, familiaux sans être minimalistes. Il ne faut pas croire que le grand public est incapable de jouer à des jeux aux règles un peu touffues. Risk et Monopoly ne sont pas des jeux aux règles simples et cela n'a pas empêché leur diffusion.

 

20) Il y a eu, il y a quelques jours une polémique sur les critiques de jeux. Toi qui en écrit sur Jeuxsoc, comment abordes tu un jeu qui te semble mauvais ou en tout cas un jeu qui ne t’a pas plu ?
J’ai remarqué que tu n’attaquais pas le jeu de front, mais plutôt de manière subtile, avec des non-dits qui font comprendre que le jeu ne t’a pas plu.
Est-ce pour ne pas blesser l’auteur et l’éditeur ou cela te semble plus malin ?

Je n'ai pas eu connaissance de la polémique dont tu parles. Mais il en arrive tellement souvent... Un des soucis, c'est qu'aujourd'hui tout le monde s'improvise journaliste. Je joue à un jeu, je n'aime pas, et je proclame que le jeu est mauvais. Quel intérêt ?

Il y a très longtemps, au moment de la sortie de la première édition de Maka Bana, un très mauvais papier est sorti en Allemagne, signé par un critique réputé. Cela a certainement nuit aux ventes du jeu outre-rhin. Renseignements pris, le critique en question avait joué sur le salon d'Essen et la règle qui lui avait été expliquée était incorrecte. Du coup, il n'a pas joué au jeu tel que nous l'avions prévu.

Cette anecdote influence encore aujourd'hui ma façon d'aborder les critiques de jeu. Je lis moi-même systématiquement les règles et je les relis avant de rédiger mon avis.


Lorsqu'un jeu ma paraît sujet à caution, je préfère effectivement le faire comprendre avec subtilité. Il m'arrive aussi de ne pas publier un avis lorsqu'il s'agit d'une petite édition, pour laquelle l'auteur, souvent auto-éditeur, a vidé son bas de laine. C'est un peu faux-cul mais après tout, un critique est-il tenu de publier tous ses avis ? Et je ne vois pas l'intérêt de blesser un auteur-éditeur qui a raté son premier jeu.


Là où je suis intransigeant, c'est quand on se fout de nous : jeu visiblement non testé, mensonges éhontés sur le public visé, sur la durée de la partie, etc. Et mon intransigeance est d'autant plus importante que l'éditeur est gros ! J'ai pour moi un avantage : mon indépendance financière et donc éditoriale. Mon site n'accueille aucune publicité et ne dépend d'aucun éditeur, ce qui me laisse une liberté que j'apprécie et qui, je crois, est appréciée de mes lecteurs.

La fameuse table verte de Jeuxsoc, avec un indice sur notre prochain invité...

 

21) Que penses-tu justement des gros éditeurs français? Asmodée tient une place énorme dans le monde ludique français et maintenant mondial, certains pensent que le distributeur en abuse auprès des magasins, notamment au niveau de la "vente forcée", d'autres estiment que c'est une réelle chance d'avoir un acteur de ce poids là en France afin de distribuer les jeux français vers l'international. Qu'en penses-tu? 

Les gros éditeurs français sont comme les gros éditeurs étrangers : ils cherchent avant tout à gagner de l'argent pour leurs actionnaires. En grandissant, Asmodee s'est éloigné de ses productions emblématiques pour faire à peu près la même politique que ses concurrents : des jeux avec des gros gadgets vendus par palettes dans les grandes surfaces.

 

Le souci n'est pas au niveau des éditeurs qui font logiquement leur travail. Il est plutôt au niveau des boutiques. La plupart d'entre elles se contentent de remplir leurs rayons avec les catalogues des principaux distributeurs français : Asmodee, Gigamic, Blackrock, Iello. Du coup 90% des jeux sont identiques d'une boutique à l'autre. La seule concurrence se fait au niveau des prix. Certes, une boutique ne peut pas se passer des jeux distribués par ces marques. Mais qu'en est-il de la diversité et de l'originalité ? Les jeux distribués par Paille ou Atalia sont largement aussi intéressants. Et les jeux distribués par les éditeurs eux-mêmes aussi. Malheureusement, peu de boutiques les référencent.

Quand à l'essor des jeux français à l'international, il est plus dû à de bons accords avec des distributeurs étrangers qu'à une implantation de gros éditeurs français à l'étranger. Le catalogue de Iello USA, par exemple, est très différent de celui de Iello France. Idem pour Asmodee.

 

22) Qu'est ce qui fait selon toi que ces magasins ne prennent pas de risque au niveau de la diversité des produits? 

Plusieurs paramètres entrent en jeu.

D'abord, pour commander des jeux chez un éditeur en bénéficiant d'un tarif compétitif, il faut que la commande atteigne un montant qui offre la livraison (le franco de port). Un éditeur qui n'a que deux ou trois jeux n'intéressera donc pas les petites boutiques.

Ensuite, il faut bien reconnaître que l'offre de jeux est bien trop importante si on la ramène au nombre d'acheteurs potentiels. En privilégiant les fournisseurs établis, les boutiques sont assurées de proposer des jeux qui auront une belle couverture médiatique : publicités dans les journaux spécialisés, vidéos-publicités sur les sites de geeks, etc. Aucun petit éditeur ne peut se payer une telle couverture et la plupart des boutiques ne prennent pas le risque de proposer un jeu qui n'est pas à la une des supports fréquentés par les amateurs.

 

Il ne faut pas oublier que le jeu est un des rares loisirs intellectuels où l'on ne soit pas simplement spectateur.

 

23) Je vais me faire l’avocat du diable, dans une société dite en crise, les français jouent de plus en plus, est-ce pour toi normal et responsable alors qu’il y a de réels problèmes (économiques, sociaux, écologiques, de liberté…) et que le citoyen pourrait s’exprimer, réfléchir, agir au lieu de s’évader par le jeu ?

En jouant, on se rencontre, on sort de l'isolement. On apprend à respecter ensemble une règle. C'est à mon avis plus utile que beaucoup de discours. Et ça n'empêche pas d'avoir des opinions et de les défendre. Il ne faut pas oublier que le jeu est un des rares loisirs intellectuels où l'on ne soit pas simplement spectateur. Il est d'ailleurs amusant de constater que les autres loisirs où l'on est acteur et non spectateur sont souvent des loisirs où l'on "joue" : d'un instrument, une pièce de théâtre, au rugby, etc.

 

24) Le jour où tu disparaitra, que souhaites-tu que l’on retienne de toi, que ce soit en tant que professionnel mais également en tant qu’homme ?

D'abord, je n'ai pas du tout prévu de disparaître un jour.

Ensuite, mon souhait est, si cela arrive, que l'on me réduise en cendres et que ces cendres soient mises dans un sablier de jeu, de sorte que je puisse continuer à participer aux parties. « Tu joues un peu lentement, je trouve. Je retourne papa : tu n'as plus que 3 minutes ! »

 

25) Malheureusement, c’est la fin de cette interview, pour conclure François Haffner, en prenant en compte ta vie professionnelle, personnelle, et tous les projets que tu as actuellement, es-tu un homme heureux ?

En fait, je constate qu'une vie est trop courte pour réaliser tout ce qui me tiendrait à cœur. J'entendais un jour un ami me dire « Si tu vas le matin au travail avec plaisir et que tu t'entends bien avec tes voisins, sache que tu appartiens à une petite minorité gâtée ». Et je crois être de cette heureuse minorité.

 

François, je te remercie pour cet entretien

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